musique

The High Llamas - Beet, Maize & Corn   

Tricatel - 2003

 

 
 

Grâce soit ici rendue à  l’inestimable Bertrand Burgalat et aux esthètes infaillibles de Tricatel, sans qui cette splendeur n’aurait été disponible qu’en import. C’était le cas du précédent Buzzle Bee (indisponible en Europe), disque pourtant magnifique, rêverie bucolique annonciatrice de Beet, Maize and Corn. Il eut été dommage que le public soit privé d’un disque absolument hors du temps : c’est le cas de la plupart des disques des High Llamas, mais Sean O’Hagan pousse ici le bouchon encore plus loin.

 

Ils sont nombreux, les pauvres, à ne voir dans les High Llamas qu’un groupe de plagiaires des Beach Boys circa Pet Sounds ou Smile. Sans doute les mêmes qui pensent que De Palma réalise toujours les mêmes films, ou pour utiliser la pertinente comparaison établie récemment par Jonathan Coe, qui estiment que Monet peignait toujours le même tableau. D’une part Sean O’Hagan n’a jamais caché l’admiration sans bornes qu’il avait pour Brian Wilson. Il s’en est d’ailleurs fallu de peu il y a quelques années pour que les 2 accouchent d’une collaboration. D’autre part, il faut bien comprendre que son groupe est volontairement référentiel, au travail des autres (Wilson donc, Morricone, Van Dyke Parks, Jobim), mais surtout à sa propre musique : l’Irlandais a fait de l’ auto-citation un véritable credo, y voyant là un moyen de plus d’accéder à cette sophistication distanciée qui est une des principales caractéristiques de sa musique. Il sera ainsi aisé de retrouver dans les arrangements de cuivre surtout, l’esprit de l’album Hawaii (chef d’œuvre du groupe en 1994). Son travail est celui d’un orfèvre de l’inutile, d’un pointilliste, et la moindre variation dans son approche prend ainsi d’autant plus de valeur.

 

On est donc ici en terrain connu et les influences sont identiques à celles que l’on retrouvait sur leurs albums précédents. Loin, très loin du rock et de son orthodoxie, la musique des High Llamas brasse toujours pop symphonique, exotica, bossa, jazz orchestral, le tout par petites touches subtiles, dans un même souffle apaisant et d’une suavité extrême. Mais le précédent Buzzle Bee et sa tonalité largement acoustique annonçait un changement.

 

Fini donc les touches d’electronica qui permettaient au groupe d’être remixés par l’intelligentsia des bidouilleurs mondiaux (Kruder et Dorfmeister, To Rococo Rot, John McEntire…). Fini même la batterie ou l’ électricité : Beet, Maize an Corn largue définitivement les amarres, avec à son bord et comme unique équipage, chœurs, cordes et cuivres, pour des contrées lointaines et perdues de vue depuis longtemps, celles du music-hall américain des années 20. On songe à Cole Porter (Leaf and Lime),  voire à Gershwin… Plus que jamais, la musique d’ O’Hagan évoque avec une mélancolie doucereuse les souvenirs perdus et à venir, les clichés un peu jaunis d’une Amérique romantique et surannée, peuplée de cow-boys dandys, de pionniers métaphysiques. L’obsession west-coast semble pourtant s’être un peu estompée et l’album est pourvu d’une sensibilité plus européenne. D’un raffinement extrême, d’une préciosité sans égal, ces chansons  insaisissables semblent tout droit issues d’une luxueuse party donnée par un Gatsby plus distant que jamais sous le soleil automnal de la Nouvelle-Angleterre. Absolument stupéfiant et enchanteur, d’une élégance véritablement unique.

 

Laurent