musique

Bonnie 'Prince' Billy - Sings greatest Palace music 

Drag city/Chronowax - 2004

 

 
 

    Au début étaient les Palace Brothers, vite mués en Palace Songs, puis Palace Music et enfin Palace tout court, groupes de country minimaliste et brute, formations séminales menées par le seul Will Oldham, cowboy neurasthénique et autiste.  Qui se décida finalement à sortir quelques disques sous son propre nom, pour finalement endosser un nouveau costume, celui de Bonnie « Prince » Billy.

 

    Cerise sur la mise en abyme, Oldham décide aujourd’hui de publier un best of des chansons écrites sous les divers noms « palace » et publiés sous sa nouvelle identité (ouf on y arrive !). Pas vraiment un best of en vérité puisque ce sont les fans qui ont décidé du tracklisting sur les divers websites consacrés au bonhomme : 2 disques sont essentiellement représentés, le saisissant Days in the Wake, enregistré seul avec une guitare en bois sur un magnétophone probablement en bois lui aussi, et le sublime Viva Last Blues. Les autres titres, tous des classiques d’Americana, proviennent de divers ep (Hope, An Arrow Through the Bitch entre autres).

 

     Mieux encore ( ?) plutôt que de compiler benoîtement les morceaux choisis, Oldham les a réenregistrés à Nashville en compagnie de quelques musiciens de studio. Et c’est là que ça se gâte ( ?). Car les nouvelles versions substituent le folklore et le savoir-faire de la country traditionnelle à la sècheresse et à l’amateurisme des enregistrements lo-fi. Autant dire que de nombreux fans vont grincer des dents. A raison. Et à tort.

 

    Car il faut bien avoir en tête qu’Oldham se considère comme un chanteur country à part entière, un maverick certes, mais amoureux du genre, dans toute sa diversité. Et lorsque débute New Partner et son invitation au voyage à travers les grands espaces (« There’s a black tinted sunset with the prettiest of skies ; lay back ; lay back, rest your head on my thighs »), force est de constater que l’instrumentation traditionnelle sied à merveille au titre et à ce qu’il véhicule. Passé le choc de la redécouverte (les titres de Days in the Wake notamment sont complètement transfigurés, et pour cause, d’autres comme Gulf Shores sont à peine reconnaissables), on peut donc s’attarder sur la fine ouvrage réalisé par Oldham et ses compères (très) occasionnels : la proverbiale pedal-steel est larmoyante, les vocaux féminins ont la clarté et la robustesse des femmes de cowboys, le glockenspiel enchante. Certains titres qu’on pensait absolument intouchables, tels The Brute Choir, Agnes Queen of Sorrow ou You Will Miss Me When I Burn ( et son glaçant « when you have noone, noone can hurt you »), transportent littéralement.

 

    Reste que d’autres s’accommodent mal de cette relecture iconoclaste. Parolier et conteur unique, Oldham excelle dans les atmosphères à la fois gothiques et troubles mettant en scène des personnages tiraillés entre le péché et l’appel du Tout-Puissant, auxquelles son chant mal assuré, intime et bouleversant allié à une instrumentation paupériste confèrent une puissance rarissime : le terrifiant Riding, chronique d’un inceste assumé et adoubé par le Très Haut, ou I Send My Love to You et sa relecture carrément honkytonk ne peuvent que perdre de leur intensité.

Bilan ? Difficile à dire en vérité : les amoureux du seul Palace risquent de tourner le dos à Will Oldham ; les autres, qui voient en lui un artiste country avant tout, plutôt qu’un Ian Curtis égaré au Kentucky, verront là une nouvelle étape tout à fait logique dans le parcours d’un musicien qui évolue depuis plusieurs années vers plus d’accessibilité.

 

    Quoiqu’il en soit, le plaisir, coupable ou non, de réentendre ces chansons ferventes et glaçantes, sortes de témoignages à la fois païens et mystiques d’un temps où les hommes les plus simples subissaient mille tourments métaphysiques, reste intact. N’est-ce pas là l’essentiel ?

 

Laurent