musique

L'armée des 12 - cadavres exquis  1/2

Kérozen / Wagram, 2002

 

    Ce collectif hip-hop pas vraiment comme les autres n’est autre que l’association des très en vogue TTC (Tekilatex – Tido Berman – Cuizinier) et La Caution (Hi-Tekk – Nikkfurie), trio et duo auxquels vient s’ajouter le rappeur Saphir le Joailler. Tout cela s’annonce bien excitant car à eux tous ils incarnent une bonne partie du renouveau artistique du rap français. On s’était déjà rendu compte de la qualité et du côté innovant des albums Asphalte Hurlante (La Caution) et Ceci n’est pas un Disque (TTC), parmi les tous meilleurs de leur catégorie au regard des sorties de ces dernières années.

    Sur Cadavre Exquis, L’Armée des 12 confirme tous les a priori positifs que l’on peut avoir sur eux : production impeccable et connivence microphonique sont d’ailleurs grandement responsables de la réussite de nos six acolytes. On les avait déjà entendus sur quelques mixtapes et autres freestyles, mais le passage à l’épreuve du premier album est souvent une toute autre épreuve, parfois un écueil insurmontable. Mais ici l’ensemble est réalisé avec une grande maîtrise, pour preuve : tout est supervisé et produit par le groupe. Même la pochette et les illustrations ont été façonnées par  Hi-Tekk.

    Musicalement, on a droit à une avalanche de sonorités électroniques : basses grasses et brutes qui donnent une impression de gravité mais sans noirceur excessive, samples pointus et savamment aiguisés par Nikkfurie et Tido Berman. A cela, ajoutons des breakbeats limpides et parfois osés (habile décalage entre la rythmique et la bande sonore). On obtient donc une espèce hybride qui sait mélanger conventions hip-hop pour mieux les bousculer en y apportant un côté volontairement bancal, comme on peut l’entendre sur Messagerie vocale, qui permet aux sept Mc’s (James Delleck a en effet été invité) de se lâcher complètement, chacun d’entre eux possédant un flow peu conventionnel. C’est en effet une des composantes identitaires essentielle du groupe : le débit et la diction, le timbre et  l’intonation sortent à chaque fois du lot. On pense bien sûr à l’étrange voix extraterrestre de Tekilatex (en pleine forme sur Hélium Liquide), mais aussi aux graves de Tido Berman, toutes en fins de rimes traînantes, aux deux frères de La Caution qui savent avant tout coller au rythme en posant d’une façon syncopée sur des textes tout en allitérations et jeux de mots... Et que dire de Cuizinier, une façon de rapper comme on ne l’a jamais entendu ailleurs auparavant, complètement en décalage, constamment au bord de la rupture rythmique ! Sans compter que sa voix est souvent passée au filtre, ce qui apporte encore plus d’étrangeté. Seul Saphir semble apporter un soupçon de norme rapologique à la bande, un flow plus classique (quoique ?) mais irréprochable.

    Hors-normes, ces garçons le sont complètement ! Aucun tabou n’existe avec eux, omniprésence des références au sexe, textes acérés décrivant sans équivoque l’univers urbain au travers de thèmes variés, coups de poings aux rappeurs fallacieux, et aussi pas mal d’histoires drolatiques et apparemment insensées (ce qui justifie le titre de l’album). Cependant ils n’oublient pas que le hip-hop est une musique à danser, et démontrent leurs aptitudes à le faire, surtout sur Néons & Pierres Précieuses (avec Buck 65) ou Gin & Jus. Si le rap français doit prendre une direction, la plus souhaitable serait celle que semble emprunter le label Kerozen et l’Armée des 12.

Jean-Baptiste