roman

Paul Smaïl - Ali le magnifique   1/2

Denoël 2001 (réed J'ai Lu - 2003)

 

 

 

    Le cas Paul Smail n’en finit pas depuis quelques années d’entretenir les bruits et les rumeurs les plus fous ; chacun sachant plus ou moins aujourd’hui qu’il s’agit d’un pseudonyme masquant l’identité de l’auteur Jack Alain Léger. Mais il faut passer rapidement au-delà de ces mouvements qui agitent le microcosme des milieux branchés parisiens et savoir reconnaître à cet auteur un vrai talent.

 

    Dans un roman foisonnant de plus de 700 pages, il nous raconte l’histoire de Sid Ali Rezzala – ici rebaptisé Benengeli – jeune beur surdoué mais épileptique, au QI de 137 très souvent vanté, tapin à quinze ans dans la rue des Martyrs, puis serial-killer recherché par toutes les polices européennes et coincé à Lisbonne. Un personnage fort, tour à tour attachant, fascinant, répulsif, tête à claques de premier choix, révélateur des maux de notre société avec un rare cynisme et une tchatche inégalable. Cent fois, j’ai eu envie de jeter ce livre souvent énervant, dans son côté répétitif, quasi logorrhéique, mais je m’y suis tenu, enfin récompensé par les dernières pages d’une force et d’un optimisme incroyable, pari pas facile à tenir après 700 pages de folies, de malheurs, d’agressivité et de nihilisme.

Car ce jeune beur à la mégalomanie sans limites, qui part dans des délires d’une totale hallucination, est malgré ses origines, sa condition de jeune en difficulté des cîtés le parfait produit final et aliéné de notre société de consommation : ses rêves démentiels de célébrité par le biais du cinéma et surtout de la télévision, son goût immodéré du luxe et bien sûr des vétements de marque en sont les meilleures preuves.

 

    Ce qui permet à Paul Smail de faire le procès sans concessions de notre société, avec rage et hargne, faisant particulièrement le sac des politiques de tout bord, à travers les délires de son héros exprimés dans un mélange détonnant de verlan, de franglais et d’arabe, le tout enrobé d’une langue classique et riche. C’est aussi un tour de force de la part de Paul Smail de faire cotoyer la langue des banlieues, ici à son paroxysme et pourtant dégagée de ses tics les plus banals, les plus artificiels et une langue française lyrique et dévastatrice.

 

    Ce livre est une énorme claque tant par son sujet que par son style, sa classe et la comparaison faite par certains critiques entre Smail et Céline ne me semble aucunement usurpée. Il va vous malmener, vous irriter peut-être, vous toucher forcément, parce qu’au travers de l’itinéraire tragique de cet anti-héros moderne, il y a aussi un réquisitoire violent et sincère contre tous les déréglements actuels, principalement ceux du système éducatif et de la gestion des minorités, source de la fameuse fracture sociale.

Indispensable et salutaire, roboratif et jubilatoire, Ali le magnifique est un roman dont on ne ressort pas tout à fait comme on y est entré.

 

Patrick