roman

John Haskell - American Purgatorio

Éditions Joelle Losfeld - 272p, 19.90€

[4.5]

 

 

Pour son premier roman, Haskell évoque l’Amérique telle qu’on la mythifie : la route, les stations essences, les rencontres incongrues, la fuite vers l’Ouest, la perte d’identité…dès les premières lignes, c’est l’esprit des films de Lynch, de Huston, de tous ces réalisateurs adeptes de « roads movies » qui entre en scène, et on pense enfin, obligatoirement, au magnifique Sur la Route de Jack Kerouac.

 

C’est un Jack, justement, qui sort d’une station d’essence et constate que sa femme Anne et sa voiture ont disparu. Le récit démarre là, de la manière la plus concrète, pour ensuite se disperser, se perdre et partir dans tous les sens…jusqu’à ne plus en avoir. Car la force d’American Purgatorio réside évidemment (sinon, ce serait un roman déjà-vu et affreusement quelconque) dans le récit intérieur du héros parti à la recherche de sa femme à travers des Etats-(dés)Unis  étranges, presque surréalistes et peuplés de citoyens bizarres. Ce livre est quasiment un monologue métaphysique, la longue descente aux Enfers d’un homme, qui perd sa femme et se perd ensuite. Tout au long du récit, composé de sept blocs bien distincts, dont chaque titre repend en latin un péché capital, le héros confronte son désespoir dans sa quête improbable de l’être aimé, à son inappétence à rester égal à lui-même. « Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé » pourrait être l’adage qui colle à Jack : il poursuit son voyage bardé de souvenirs qu’il ressasse encore et toujours, jusqu’à ce qu’ils se superposent aux faits qui se passent sur l’instant. Dès lors, le récit s’opacifie. Qu’est-ce qui existe présentement ou qui fut quand il était avec Anne ? Où est l’imaginaire ? Le vécu ? Le fantasme ?

 

John Haskell se garde bien de distinguer cet enchevêtrement de pensées, et rend donc la quête de Jack souvent nébuleuse, onirique, presque surréaliste. On peut évidemment rester complètement en dehors de ce road-book doux et inquiétant, au style détaché, à la fois très près des sentiments du héros et extrêmement clinique dans la description des événements. Mais on peut aussi, comme moi, être bouleversé par cet homme qui, par amour, s’abîme et se consume dans sa course désespérée pour retrouver sa moitié, sa vie passée, son existence désormais meurtrie. L’écriture tour à tour douloureuse et délicate de John Haskell étonne ou fatigue, mais il s’agit là d’une écriture peu commune, accrochée à la grande tradition des livres américains amples, basés sur la mythologie des grands espaces et des grands sentiments, mais qui reste cloisonnée, malade, enfermée par les tourments psychologiques, les émois intérieurs de Jack.

 

Si la fin peut surprendre et reconsidérer la majeure partie de cette traversée américaine qui ressemble à un dédale menant au Purgatoire, on garde cependant en tête, une fois le livre refermé, tout ce qui en fait son caractère particulier : les errements amers, les questionnements sans fin, les passages à vide, les trouées extatiques, les sentiments flous, les douleurs sourdes, la perte de l’autre, la perte de soi…

 

Jean-François Lahorgue

 

Date de parution : 4 janvier 2007