roman

François Bégaudeau - Dans la diagonale      

Éditions Verticales - 216p, 17€ - 2005

 

 

 

    Si le titre n’avait pas déjà été utilisé, peut-être François Bégaudeau aurait-il pu appeler son second roman L’esquive, tant il y érige en art de vivre la tangente, la bifurcation, le « Sideways » pour reprendre une fois encore le titre d’un film récent. L’art de filer en diagonale qui nécessite pour le narrateur trentenaire tendance asocial maladif une vigilance de tous les instants. Dans son prologue excitant à souhait, Bégaudeau décrit l’attitude sans cesse à l’affût « tête haute buste droit » permettant d ‘anticiper et de fuir toute rencontre inopportune avec des fantômes du passé. Une conduite qui fait ses preuves jusqu’à la rencontre inévitable avec Jacques un ami de lycée avec lequel « on ne s’en sortirait pas avec une petite oblique routinière ». Celui-ci l’invite à passer un week-end à la campagne pour fêter le premier anniversaire de son mariage.

 

    Le mutique narrateur bien malgré lui n’a guère le choix et se met au bord de la route pour se rendre quelque part en Touraine. Ce trajet en stop où se dessine une architecture géométrique des bretelles, des autoroutes, des panneaux de signalisation est une succession de rencontres avec des chauffeurs en quête de sens à la destination hasardeuse dont le voyageur écoute les longs monologues de plaintes, de désillusions ou d’échecs. Chaque petit bout de ce périple se termine par « Je ne vais nulle part, mais ce n’est pas par là » de la part du conducteur et le « C’est parfait » du passager. Lequel finit par arriver dans le village de Jacques qui le récupère et l’amène à sa maison, où quelques invités sont déjà arrivés.

Dans la partie la plus importante – et sans doute un poil trop longue - du livre, Bégaudeau met en scène une quinzaine de personnages dont il dissèque avec cruauté et ironie la vacuité et l’indigence des propos et des relations. Parmi ceux-ci, Jean Billard philosophe pérorant et coutumier de fumeux aphorismes, la grosse Chantal dont le but ultime est de « se faire niquer », Marie et Martin un couple d’enseignants aux échanges balisés de « entre guillemets » et « on va dire », Joe qui connaît vraiment beaucoup de monde, un collègue de Jacques venu du Sud-Ouest bon rugbyman à l’accent prononcé. Sous fond d’actualité – la guerre contre l’Irak est présente à travers le poste de télé et copieusement commentée par la fine équipe -, la soirée s’écoule de l’apéritif au repas dans une ambiance terne et convenue qui, alcool et ennui aidant, va virer au délire le plus total dans la dernière partie du livre.

 

    L’auteur de Jouer juste, sorti en 2003, livre ici un roman étrange et déconcertant, parfois horripilant à cause de quelques longueurs, souvent très drôle et franchement grinçant. Ce récit brillant et troublant en forme de ballet en quatre parties est écrit dans un style parfois télégraphique qui multiplie les répétitions, alterne dialogues et narration et se développe en une logorrhée finale assez barrée. Certaines phrases sont construites avec le renvoi du verbe à la fin et se déroulent comme un écheveau.

On a rarement vu un narrateur, dont on ignore le nom, seulement affublé d’un « Teddy » par un des convives, aussi effacé et passif, dans l’incapacité d’employer le « je », préférant se désigner par un « ici » de situation. Cette distanciation, cette volonté de ne pas s’impliquer procurent à Dans la diagonale une atmosphère singulière et prenante. La lecture des dernières pages où se mêlent quelques invités et un tas de loustics déjantés offre ainsi une réelle échappatoire à un narrateur – et son créateur ? – de pouvoir prendre définitivement la tangente.

 

    François Bégaudeau se confirme comme un auteur bizarre, à l’imagination débridée, à l’écriture moderne et inventive, bref un écrivain à suivre.

 

Patrick Braganti

 

Date de parution : janvier 2005

 

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