roman

Roland Fuentès - La double mémoire de David Hoog

Éditions A contrario - 2004

 

 

 

    Auteur d’un roman et de quatre recueils de nouvelles dont le dernier, Douze mètres cubes de littérature, a obtenu en 2003 la prix Prométhée de la nouvelle, Roland Fuentès offre avec La double mémoire de David Hoog un court roman de 123 pages proche de la veine fantastique.

 

    Du « Hollandais volant » et de nombre de récits de ce genre, l’auteur emprunte le motif de l’embarcation échouée de laquelle a disparu toute trace d’équipage et de passagers. Du « Manuscrit trouvé dans une bouteille » de Poe, il retient celui du message d’outre-tombe, ici plié dans une enveloppe elle-même logée dans une mystérieuse boîte de fer blanc exhalant, à la façon d’un organisme vivant, bruissements et soupirs. De même que Pandore, soulevant le couvercle de la boîte mythique, avait laissé s’échapper les maux, crimes et chagrins qui devaient s’abattre sur l’humanité, de même David Hoog, ouvrant boîte et enveloppe, va-t-il libérer l’esprit maléfique d’un défunt soucieux de réincarnation et dont le nom, Wolf (loup), en dit long sur ses appétits. Devenu en quelque sorte loup-garou, c’est-à-dire littéralement homme-loup, David Hoog se voit livré aux assauts d’une mémoire nouvelle, d’une mémoire duelle, c’est-à-dire double – comme les deux o de son nom –et hostile, et métamorphosé en « gestionnaire d’un souvenir en perpétuel mouvement ». On pense ici bien entendu au « Horla » de Maupassant, ainsi qu’à « La Métamorphose » de Kafka, nouvelle à laquelle l’exergue du roman emprunte son incipit.

 

    Métamorphose, dédoublement, aliénation, possession par pénétration ou engloutissement (la récurrence de la métaphore sexuelle, avec son cortège d’ « orifices », louche dangereusement vers le cliché), la thématique ne saurait cependant assurer à elle seule le succès du parti-pris fantastique. Font en effet cruellement défaut dans le roman les indices de cette inquiétante étrangeté symptomatique du genre et définie par Freud comme « cette variété particulière de l’effrayant qui remonte au depuis longtemps connu, depuis longtemps familier ». Manipulés par un narrateur omniscient davantage que par la haine d’un esprit xénophobe, les personnages (à l’exception peut-être de Bobô, l’ami du protagoniste) font figure de silhouettes stylisées s’acquittant consciencieusement du rôle qui leur a été imparti. Nulle hésitation, nul vacillement dans ce récit linéaire où les points de repère abondent, où tout est dit, nommé, énoncé, annoncé sans que le doute ou le vertige s’empare à aucun moment du lecteur.

 

    Participe notamment de cette « rassurante familiarité » l’usage immodéré du stéréotype. Nécessairement mystérieuse, Jeanne, l’alter ego féminin de David Hoog, apparaît ainsi aux yeux de celui-ci, et à ceux du lecteur, comme une « silhouette », puis comme une « ombre » n’ayant rien à envier aux masques et bergamasques verlainiens. Ailleurs, alors que l’élément liquide pourrait donner lieu à une intéressante exploitation littéraire avec le côtoiement des eaux croupissantes des chantiers navals désaffectés et de celles, immobiles et silencieuses, des grands fonds marins, on regrettera que le regard de cette même Jeanne ne retienne des derniers que leur caractère « sombre » et « insondable », qui « engloutit » David Hoog et Bobô. En dépit de cette topographie marine, le lecteur, lui, reste inexorablement arrimé à la terre ferme.

 

    Davantage qu’à un fantastique renonçant à revisiter sa thématique et son esthétique, c’est plutôt à la fable morale que me semble s’apparenter La double mémoire de David Hoog. En ce sens, David Hoog, Jeanne, Bobô et consorts seraient plus proches de symboles, voire d’allégories, que de personnages proprement dits. Familier, sinon des cimes, du moins des falaises, David Hoog, ainsi que le suggère son nom qui, en hollandais, signifie « haut », est un être d’altitude. Plongeur, il devra s’immerger dans les eaux profondes de la haine que tente d’insuffler en lui l’esprit xénophobe de Wolf, et se mesurer à elles. C’est du reste sur cette activité de plongée que s’ouvre et se clôt le récit, que je suis tentée de lire comme un roman d’initiation ésotérico-politico-mystique, comme une « expérience par les gouffres » dont le coût (14 €), évalué en kilogrammes plutôt qu’en mètres cubes, est peut-être surévalué.

 

Catherine H.