roman

Lavinia Greenlaw - Quand Mary marcha sur l'eau     1/2

Editions Joëlle Losfeld – 2004

 

 

   

    Malgré son titre qui rappelle un fameux antécédent, nous ne sommes pas ici dans une nouvelle variation sur un des épisodes de la vie de Jésus, mais bien au contraire plongés dans une Angleterre souvent paradoxale et contradictoire au milieu des années 70, à l’époque des premiers chocs pétroliers.

 

    Même s’il n’est donc pas question à proprement parler de religion, néanmoins il existe dans ce premier roman un côté surnaturel, un peu étrange, parfois féerique qui lorgne vers le conte ou la légende. L’histoire à multiples personnages et situations diverses tourne autour de deux individus : d’une part, Mary George, adolescente pas très bien dans sa peau, vivant seul avec sa mère Stella et d’autre part, Tom Hepple, qui revient à la bourgade après un séjour en asile psychiatrique consécutif à la disparition de sa mère Iris et à l’engloutissement de leur maison sous les eaux. Le nœud du livre réside en fait dans le lien ténu et peu à peu mis à jour qui unit Mary et Tom. En effet Matthew le père de celle-ci fut recueilli et élevé par Iris aux côtés de Tom et Christie, son frère jumeau. Matthew devint rapidement le préféré et c’est lui en tant qu’architecte qui mènera à bien le projet du barrage et la montée des eaux responsable de la disparition de la vieille maison d’ Iris. Le retour de Tom coïncide avec une rencontre fortuite avec Mary, perchée sur un arbre comme marchant au-dessus de l’eau. Celui-ci y voit comme un signe et fait de la jeune fille une sorte d’ange gardien rédempteur.

 

    Le grand intérêt de ce livre est de ne pas limiter l’intrigue au seul développement de la relation chaotique et étrange entre Mary et Tom. D’ailleurs, de loin en loin, elle finit presque par devenir anecdotique ou accessoire. Lavinia Greenlaw étoffe brillamment son roman avec d’autres histoires, dont la vie quotidienne de Mary, avec sa mère Stella, ses amis au lycée et ses premiers émois amoureux. Dès lors, tournent autour de l’adolescente une kyrielle de personnages secondaires que l’auteur ne se contente pas d’esquisser mais au contraire rend palpables et attachants. Cela donne au roman une incroyable densité et variété, qui nous ballade dans des univers différents : salon de coiffure, soirée dans une piscine désaffectée, concerts... Et toujours décrits avec infiniment de détails tant au niveau des lieux que des identités psychologiques des protagonistes. On sent là un vrai travail, une connaissance prégnante de cette Angleterre des années 70 qui apparaît souvent contrastée : pas bien loin de Londres et ses tapageurs courants (musicaux, entre autres), nous sommes cependant en pleine campagne avec son lot de superstitions et naïvetés séduisantes et l’histoire en serait presque intemporelle si ce n’était les nombreux détails (vêtements, musique) qui la peuplent.

 

    J’ai rarement vu un premier roman aussi abouti et maîtrisé, qui tient à la fois d’une chronique sociale et d’un conte fantasmagorique, presque irréel. Tout au long de ces 300 pages, l’auteur nous emporte bien loin grâce aux caractères insolites et fouillés de ses personnages dans un savant puzzle qui nous propulse à des moments et des endroits différents. On n’est pas étonnés dès lors que Quand Mary marcha sur l’eau ait reçu le prix du meilleur livre étranger en 2003.

 

Patrick