roman

Hubert Prolongeau - Sans domicile fixe  

Hachette coll. Pluriel - 1993

 

 

 

    Il y a maintenant dix ans le journaliste indépendant Hubert Prolongeau – auteur également de Vie quotidienne en Colombie au temps du cartel de Medellin (1992) et Une mort africaine (1995) - écrivait un livre témoignage intense et remarqué d’un peu plus de 200 pages, à l’issue de quatre mois passés dans la vie des sans-abri parisiens dans l’anonymat le plus complet, sans que les personnes côtoyées aient jamais été informées, afin bien sûr de s’assurer la meilleure observation objective.

 

    Ce livre se veut avant tout une relation de faits, de situations souvent individuelles qui permettent à l’auteur d’établir des généralités, des tendances et des caractéristiques de ce milieu très souvent inconnu, décrié et sur lequel circule un certain nombre de fausses idées auxquelles l’auteur se charge de tordre le cou. Notamment, une situation jamais choisie (le mythe du clochard philosophe fait ici long feu) par des êtres souvent murés dans une grande solitude (les groupes de SDF ne sont pas reliés par l’amitié ou l’entraide, juste par une nécessité vitale de protection contre les violences inouies et répétées qu’ils subissent et par la rareté des lieux géographiques qu’ils peuvent fréquenter).

 

     C’est donc l’idée d’une chute, d’une rupture, qui existe souvent inscrite dans les premières années d’une vie qui passe souvent par l’abandon ou la séparation , qui conduit dans l’analyse de Prolongeau à l’état de SDF. Lequel à son tour connaîtra différentes étapes (rejet, acceptation, dépendance et résignation) avant parfois de parvenir à la phase ultime et irréversible de la clochardisation.

L’auteur fait ici l’inventaire exhaustif des conditions de vie des SDF, et s’ attache à les suivre au jour le jour dans leur quête de nourriture et d’hébergement, parfois de travail ou de partenaires sexuels, rendant criante l’inadéquation cruelle entre les infrastructures souvent impersonnelles et inadaptées et le premier besoin avéré des SDF : la reconnaissance en tant qu’individus, que notre société veut de moins en moins voir et intégrer, posant en conséquence le seul vrai problème demeurant à régler : une cohabitation de deux mondes.

 

    Essentiellement basée à Paris – la situation en province apparaissant souvent moins dramatique, parce que moins anonyme et plus concentrée – l’étude clinique et objective de Prolongeau ne propose pas ici de solutions, mais tend néanmoins à dénoncer certaines pratiques souvent absurdes et à formuler quelques pistes possibles, en mettant en relief le travail de certaines associations et de médecins humanistes.

Dix années après, et malgré certaines promesses frivoles de candidats politiques, le problème SDF, devenu parfaite illustration des dégâts collatéraux de notre civilisation compétitrice et sacrifiée à l’autel de la rentabilité, demeure plus que jamais d’actualité, signifiant par là-même qu’il doit être dorénavant traité comme un mal inhérent à prendre en compte et à soulager, et non plus hélas, tant cela semble aujourd’hui trop tard, comme une plaie à éradiquer.

Prolongeau, dans son constat sans fioritures, jamais larmoyant mais toujours rigoureux et juste, nous rappelle aussi ce que sont les devoirs d’une nation confrontée aux créatures qu’elle a engendrées.

 

    Le film Paria, sorti en 2001 sur la vie de jeunes paumés se retrouvant à Nanterre, le plus grand et un des plus inhospitaliers centres d’hégergement des SDF, est une prolongation nécessaire et terrible de ce livre.

 

Patrick