roman

Massimo Basile et Gianluca Monastra - Un été avec Chet

Éditions Galaade - 330p, 19€

[3.0]

 

 

La puissance de Chet Baker, ce son fragile enrobant la matière musicale comme une caresse exténuée, se nourrit d’abord d’une sur-sensibilité qu’il faut bien faire tenir dans un corps humain, trop humain. Camé comme pas deux, l’ange du miracle blanc au cœur de l’immense royaume black, va peu à peu, non pas détruire son corps mais lui permettre au contraire de supporter ce que le souffle dicte – dictature de l’esprit sur le coût matérialiste. Victoire décisive qui, dans le grand bain consumériste en plein décollage dès les fifties, en fait une figure précieuse de l’humanité en marche. Voir à ce sujet le visage ravagé, bien loin de toute iconographie acceptable, qu’il présente dans ses dernières années.

 

C’est donc en terrain ultra miné qu’avance cet Eté avec Chet, évocation appliquée de l’arrestation-inculpation du trompettiste américain au cœur de l’été italien 1960. Le problème de taille, inhérent à ce genre de projet (sorte de biobook romancé), s’impose d’emblée : ou comment tracer dans la chair plus ou moins profonde d’une réalité connue (voire célébrée) la voie médiane et fictionnelle capable d’appréhender une certaine part de vérité. Un travail de re-création qui s’apparente au fond à la course au son que livre tout musicien véritable ; la reprise tenue d’un thème classique, exercice périlleux plein de chausse-trappes que seule une posture toute en humilité saura déjouer.

 

Massimo Basile et Gianluca Monastra n’ont justement pas commis l’erreur fatale de vouloir écrire comme Chet jouait, projet inabordable sauf à posséder des qualités littéraires d’une force quasi équivalentes à celles, musicales, de l’américain (on pense par exemple à Nabe écrivant sur Billie Holiday). L’ingéniosité douce de leur roman tient pour une grande part à l’invention d’un fil conducteur cadre principal (considérant Baker hors cadre), se déployant au contact de Gino Lamberti, journaliste florentin aux amours difficiles, fou de foot et de cinéma, en qui la puissance du Jazz va progressivement se révéler. Et si Chet Baker apparaît à intervalles réguliers, il reste d’abord, dans la trivialité de son arrestation, une ombre gigantesque en suspension sur le récit. Du flot de clichés qui se pressent au long des pages, évitons donc les conclusions hâtives : ce sont aussi des chemins obligés pour tenir le coup d’une correspondance aux balises sur lesquelles le roman s’est ancré, et dont une liste finale de remerciements trace les pistes (hommage à certains œuvres littéraires ou films notamment).

 

Livre modeste, d’un classicisme contemporain dans son visuel affirmé, à l’ambition secrète : capter fût-ce de loin quelques émanations du souffle de Baker, l’impossible programme réserve aussi quelques belles échappées.

 

Christophe Malléjac

 

Date de parution : 2 février 2006

 

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