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                            « Il savait que les pleurs viennent d’un mouvement
                            particulier des petites glandes qui sont sous les
                            paupières, et qui sont agitées par une procession
                            d’atomes sortie du cœur, lorsque le cœur lui-même
                            a été frappé par la succession d’images colorées
                            qui se détachent de la surface du corps d’une
                            femme aimée. Il savait que l’amour n’est causé
                            que par le gonflement des atomes qui désirent se
                            joindre à d’autres atomes. Il savait que la
                            tristesse causée par la mort n’est que la pire
                            des illusions terrestres, puisque la morte avait
                            cessé d’être malheureuse et de souffrir, tandis
                            que celui qui la pleurait s’affligeait de ses
                            propres maux et songeait ténébreusement à sa
                            propre mort. Il savait qu’il ne reste de nous
                            aucun double simulacre pour verser des larmes sur
                            son propre cadavre étendu à ses pieds. Mais,
                            connaissant exactement la tristesse et l’amour et
                            la mort, et que ce sont de vaines images lorsqu’on
                            les contemple de l’espace calme où il faut
                            s’enfermer, il continua de pleurer, et de désirer
                            l’amour, et de craindre la mort. » 
                             
                            Marcel
                            Schwob - Lucrèce, Poète
                            
                             
                             
                            
                             
                            Je crois me souvenir que Deleuze dans ses conversations
                            avec Claire Parnet (abécédaire) affirmait détester
                            l’érudition paonnante, l’érudition n’étant
                            qu’un outil au service d’une pensée et rien de
                            plus, Deleuze dézinguait Umberto Eco
                            par exemple … Voilà tout ça pour dire que Schwob
                            lui était un grand érudit , qu’il faisait très
                            bien la roue même par temps sec et que merde quoi
                            toutes ces choses savantes étalées n’étaient
                            qu’au service de la magie du texte , qu’un
                            facteur déclenchant, mais primordial ! Schwob érudit
                            surdoué adolescent pratique le sanscrit, l’argot
                            du moyen age et couramment un troupeau de langues
                            mortes ou vivantes, le tout avec cette tête blême
                            presque bizarre qui le voit échouer de hautes études
                            (normal bidule) pour finir journaliste ! Il sera
                            chroniqueur et critique littéraire avec tout ce
                            qu’il sait le bougre, c’est bien vain ! Schwob
                            sera par exemple dans ses petites activités rémunératrices
                            le grand défenseur de Stevenson … son écrivain,
                            son frère d’armes anglo machin avec qui il aura
                            tellement de point commun (à l’époque et dans
                            leurs postérités respectives) … Donc Schwob fait
                            le zigoto dans les journaux et « trainouille »
                            dans le monde littéraire ; on le voit chez les
                            Goncourt , Gide lui tourne autour (et lui volera
                            beaucoup) , il fait la nouba blême avec Jean
                            Lorrain et un Anglais bizarre aussi… Oscar
                            Wilde… Pourtant un peu à coté de
                            l’accessoire Schwob poursuit un chemin plus adhérent
                            avec lui-même … Il publie un recueil d’articles
                            « Spicilège » où il parle de François Villon
                            , de la coquille
                            et en règle générale des criminels blêmes eux aussi
                            … Il parle également et toujours beaucoup de
                            Stevenson … La discrète machine littéraire est
                            en route… Suivront deux trois choses avant les «
                            Vies Imaginaires » qui devrait m’occuper (je m’égare
                            c’est une manie) notamment un voyage dans les mers
                            du sud dans les traces de Stevenson (c’est une
                            manie) et un mariage avec l’actrice Marguerite
                            Moreno de chez Guitry vous voyez « Le Roman d’un
                            Tricheur » la comtesse évaporée c’est elle… 
                            
                             
                            Bon dieu me tamponne, recadrons les débats ! « Les
                            Vies imaginaires » ! Que fait Schwob de son érudition
                            ? Et bien on dira qu’il brode… et
                            merveilleusement ! Il est évident que même si
                            c’est un socle cette érudition n’est qu’un prétexte,
                            un piège où il s’immobilise avec grâce pour
                            mieux broder ... Chacun sait qu’en sortant un peu
                            du canevas on invente, Schwob invente donc sans
                            bouger au milieu d’un piège ! 
                            Voilà
                            donc qu’à partir de savoirs acquis (Les
                            grecs, Defoe et de sombres anglo-saxons…) notre
                            ami monte une sauce où l’imaginaire est l’ingrédient
                            décisif, contournant le vrai pour trouvé la vérité
                            de ses sujets … Empédocle, Pocahontas,
                            Paolo Uccello et une cohorte d’imaginés
                            merveilleux … écumeurs de routes, bandits,
                            assassins, jeunes filles enlaidies et gentilshommes
                            de fortune.. Toutes ces vies rassemblées et évoquées
                            dans de minces notices biographiques au style sec et
                            coupant d’un classicisme avéré et sybarite au
                            milieu des follets abscons symbolistes de l’époque
                            ! Sobriété presque clinique au service de toutes
                            ces vies évoquées … vies pleines de stupeur et
                            de cruauté morbide, d’horreur confirmée et d’où
                            se dégage un charme obscur … On notera une
                            fascination pour les corps, pour les corps vivant ou
                            … morts … pendus et déjà noirs au bout d’une
                            corde ! Une fascination pour les étoffes qui
                            entourent les corps chauds ou froids … garni de
                            choses finalement assez bizarres le père Schwob …
                            On notera également une prédilection bienveillante
                            pour les exclus et les errants, pour cette sourde
                            famille en dehors de la société où les individus
                            ne valent que part aux mêmes en dehors de toute
                            organisation sociale et de toute préoccupation matérielle,
                            anarchisme ontologique de Marcel Schwob ! Il finira
                            mort assez jeune en « aventurier passif » et sa
                            descendance littéraire ne finira plus d’enfler de
                            Borges à Pierre Michon plus récemment
                            en passant par l’azimuté Artaud et son Uccello à
                            lui.. le flow Deleuzien parfois fourche et Schwob
                            n’est pas Umberto Eco, assurément et
                            bienheureusement.
                            
                             
                            Philippe
                            Louche 
                              
                             
                             
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