roman

Nuala O'Faolain - Chimères     

Sabine Wespieser - 2004

 

 

 

    Au bout de l’Europe, il y a un pays balayé par tous les vents, parsemé de landes et de moutons, célèbre aussi pour sa couleur verte, ses pubs et ses buveurs de bière. Bien sûr, il s’agit de l’ Irlande, et au-delà du cliché banal, on peut aisément reconnaître à cette île un destin singulier émaillé de drames. La grande famine que connut le pays dans les années 1850 est un des principaux, qui en bouleversa la démographie. Il n’est pas non plus étonnant qu’un pays si âpre et rude ait donné le jour à tant de passionnants écrivains. Parmi les plus récents, redisons tout le bien que nous pensons de Colum McCann et Michael Collins. Aujourd’hui pénètre dans ce cénacle un auteur féminin Nuala O’ Faolain, qui publie chez la découvreuse Sabine Wespieser un premier roman magistral, maîtrisé de bout en bout.

 

    La grande force de ce pavé de plus de 700 pages est d’ imbriquer étroitement la grande Histoire du pays et l’ histoire personnelle de Kathleen de Burca, irlandaise de souche débarquée à Londres pour fuir sa famille et tenter de vivre sa vie. En fait, le livre commence lorsque Kathleen décide d’arrêter sa carrière professionnelle de journaliste reporter de voyages suite au décès de son collègue et ami Jimmy. En même temps, elle ambitionne d’écrire un livre sur un drame passionnel qui a eu lieu en Irlande pendant la grande famine entre une noble venue d’ Angleterre : Marianne Talbot et son palefrenier William Mullan. Très vite, les destins de Kathleen et de Marianne à cent cinquante années d’écart vont présenter des points communs et se recouper.

Cette histoire survenue à Mont Talbot que Kathleen transforme en roman pour lequel lui manque d’ailleurs un bon nombre de clefs et de réponses sert aussi et surtout de reflet à sa propre existence. Car Chimères, dans lesquelles elle semble se perdre, est avant tout un beau portrait de femme arrivant à la maturité de sa vie et souhaitant faire le point. Notamment sur les raisons de son départ précipité à 20 ans d’ Irlande, de la rupture avec sa famille : une mère malade et absente, un père anglophobe et rustre, une sœur exilée en Amérique et un jeune frère resté au pays. Et aussi sur sa vie sentimentale si décousue que jamais elle ne put la concrétiser de manière durable, multipliant les aventures et ayant fini par renoncer.

L’ auteur nous retrace toute la vie de Kathleen de manière absolument pas chronologique. Les personnages secondaires – famille, amants, amis – sont nombreux et traités en profondeur, ce que permet la longueur du roman nullement rébarbatif.

L’ écriture y est limpide et généreuse. Kathleen ne manque ni de distanciation ni d’humour pour évoquer sa vie à la fois remplie et vide. Néanmoins, la partie du retour en Irlande est la plus émouvante parce qu’elle est imprégnée de vie, de cœur et qu’elle est aussi riche en révélations diverses. A contrario, on peut se montrer plus sceptique sur l’opportunité à intégrer au roman la propre fiction de Kathleen à propos de Mont Talbot.

 

    Nuala O’ Fualain a donc ceci de commun avec les autres écrivains irlandais qu’elle prouve magnifiquement l’incidence de l’histoire souvent tragique d’un pays sur un destin particulier. Kathleen va petit à petit le comprendre à son corps défendant, même si jamais elle ne choisit la facilité ou la compromission. La fin du livre surprenante en est une belle illustration.

Pas d’ hésitations à avoir pour plonger dans ce gros bouquin qui vous fera voyager à travers l’ âme tourmentée et lucide d’une femme volontaire nullement résignée.

 

Patrick