roman

Bernard Lamarche-Vadel - Conférences

Éditions du regard - 154p, 25€

[5.0]

 

 

Mieux qu’une biographie ou qu’un essai, voici de la bouche même de Bernard Lamarche-Vadel les mots qui, entre 1991 et 1999 lors de conférences à l’Institut français de la mode, livrèrent à des auditeurs privilégiés de fabuleuses leçons de perception de l’art du vingtième siècle. Double cadeau donc ici : l’appréhension de la pensée de BLV et, jaillissant des entrailles du temps, sa voix vivante et passionnée telle que les enregistrements (un cd rom de près de six heures accompagne l’ouvrage) l’ont retenue. De BLV, encore faut-il préciser qu’il fut sans aucun doute l’un des plus grands critiques d’art de la seconde moitié du siècle dernier ; qu’à plusieurs reprises et sur le tard, comme nourri par l’immensité du champ artistique, il publia quelques romans d’un poids certain ; que son suicide en 2000 à l’âge de cinquante ans est venu ratifier au fond la singularité de son existence vraie.

 

Les textes ici rassemblées esquissent une histoire des mouvements artistiques (plus que des individualités sur lesquelles BLV regrette de ne pas assez insister), des articulations fondatrices de nouvelles écoles, de la manière dont, à force de rupture et d’assimilation, les peintres surent forcer l’art à suivre une voie presque sans issue, des premières esquisses impressionnistes jusqu’aux extrémités – extrémismes de l’art conceptuel. Monet Manet Cézanne Derain Matisse Picasso Malevitch Mondrian Pollock Lichtenstein Warhol Kosuth Weiner : le brassage des figures inscrites dans la légende de l’art ne donne lieu à aucun facilité accumulatrice mais s’avance logiquement et spontanément dans le droit fil d’un raisonnement somme toute invariable. Car à chaque époque, les peintres – comme l’ensemble des artistes dans leur propre domaine – ont travaillé leur matière dans le sens d’une réinvention de la formulation, basée sur un constat juste et précis de la situation léguée par leurs prédécesseurs immédiats. Constat puis rupture. Ainsi de l’amplification par les fauves de l’abolition de la perspective déjà entamée par Cézanne ; l’irruption de la planéité du motif s’enrichissant encore par l’apport de la technique neuve de Matisse (papiers collés) dans ce même temps où le geste artistique se séparait de la conception de l’œuvre, ouvrant le terrain aux certificats de Lawrence Weiner, phrases-types vendus en tant qu’œuvre d’art.

 

En un siècle, à partir de l’irruption de la photographie, l’Art pictural va ainsi foncer à tombeau ouvert jusqu’à sa propre fin. Suivant le cortège des morts annoncées (mort de Dieu chez Nietzsche ; mort de l’homme chez Foucault), désormais déconnectée de la référence historique, la peinture va jusqu’au début des années 80 (mais la littérature ne fait pas autre chose) se donner comme son propre référant, entraînant l’expérience dans un jusqu’au boutisme nécessaire et anti-romantique. Dans le même mouvement, l’appréhension des œuvres impose au spectateur une attitude plus active. « Ce ne sont plus les objets pris isolement et signés par un artiste qui sont importants mais l’ensemble de la déclinaison et de l’addition des différents objets qui constitue l’œuvre globale de l’artiste » dit BLVD’où, selon lui, le décalage entre l’art contemporain et sa perception publique. Mais l’effort à consentir sera récompensé pour qui osera s’y mettre et Bernard Lamarche-Vadel, dans ce livre exigeant, entrouvre une porte. Il ne tient qu’à vous, lecteurs, de suivre le mouvement.

 

Christophe Malléjac

 

Date de parution : 24 août 2005

 

> Réagir sur le forum Livres