roman

Sherko Fatah - En zone frontalière 1/2

Éditions Métailié- 201p, 16€ - 2004

 

 

 

    Avec ce premier livre de Sherko Fatah qui a reçu en 2000 le prix du meilleur premier roman en langue allemande, nous sommes plongés au cœur d’un pays à la une depuis des mois. Ce pays, c’est l’Irak et plus précisément le nord du pays en limite de la Turquie et de l’Iran. Une zone frontalière dans laquelle passeurs et marchands font leurs trafics de différents objets, de l’alcool aux cigarettes en passant par des biens d’équipement.

 

    Sous une forme de fable où les protagonistes sont désignés par leur titre ou leur fonction, Sherko Fatah nous invite à partager l’existence d’un vieux passeur. Cet homme d’expérience a pour lui une excellente connaissance de la région et de ses terrains minés acquise grâce au déchiffrage d’une carte rachetée à un soldat. Dans un territoire de collines et de plateaux désertiques, le passeur avance à petits pas, parfois en rampant pour débusquer et rendre inopérantes les mines antipersonnel. Comptant parmi ses clients les principaux marchands de la ville, il exerce cette activité en solitaire futé mais apeuré des rencontres fortuites et dangereuses avec d’autres brigands ou l’armée. Ici tout doit se monnayer, se négocier au cours de transactions longues et incertaines pour passer des postes frontières et des barrages.

Le passeur est contacté par Beno un agent de l’administration centrale mystérieux et avide de renseignements sur la topographie de la région frontalière et l’implantation des mines. Entre ces deux hommes se lie un étrange pacte renforcé par l’épreuve que traverse le passeur au sein de sa famille. En effet, Petit Bouc son aîné de quatorze ans vient de quitter la maison pour rejoindre un groupe extrémiste islamiste le condamnant à une mort certaine. L’avidité du passeur à être rassuré par l’obtention de renseignements l’amène à collaborer de plus en plus avec Beno.

 

    En zone frontalière, écrit dans une langue sèche et sans effets de style, évitant toute rhétorique ou pathos, procure un sentiment contradictoire. Alors que les feux de l’actualité sont projetés sur ce pays exsangue, on s’aperçoit rapidement que nous n’en connaissons rien de la culture ni de son état de déréliction avancée. L’auteur nous décrit l’émergence de petits métiers comme les réparateurs de montres et dépeint une économie parallèle faite de débrouillardise.

Il y a ici un caractère d’intemporalité, le livre semble presque une parabole ou un triste conte tant l’histoire racontée semble éternelle. Néanmoins, Sherko Fatah jeune auteur allemand dont le père est kurde connaît bien le pays dont il nous parle par les multiples séjours accomplis.

 

    Au-delà d’une description minutieuse d’une région, l’auteur se livre aussi à un portrait très nuancé d’un homme à la fois déterminé et craintif, ravagé par le sort présumé de son fils. Choisissant de quitter son domicile, le passeur trouve refuge chez sa sœur. Sur un chemin parsemé d’embûches dont chaque nouvel emprunt nécessite prudence et vérification, le passeur tente de conduire sa propre vie. Belle métaphore sur la condition humaine.

Ce roman puissant et subtil, qui conjugue avec bonheur l’attente et l’écoulement du temps dans des situations parfois kafkaïennes, établit aussi un pont entre les cultures européennes et moyennes-orientales. Il nous permet de découvrir le vrai visage d’un pays mutilé et désespéré autrement moins simple et caricatural que la vision offerte par les média.

 

Patrick Braganti

 

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