roman

Pablo de Santis - Le Calligraphe de Voltaire 1/2

Editions Métailié - 179 p, 17€ - 204

 

 

 

    Quand ils ne sont pas directement liés à l’Histoire avec un grand H ou hagiographiques, il est bien rare que de nos jours les romans aillent s’occuper d’une autre époque que l’actuelle. En cela, c’est le premier intérêt du dernier roman de l’argentin Pablo de Santis, par ailleurs éditeur et écrivain pour la jeunesse, scénariste pour la télévision et auteur de bandes dessinées. Mais ce n’est pas le seul…

 

    Nous voici donc deux bons siècles en arrière, quelque temps avant la Révolution Française, en pleine période des Lumières. Le jeune Dalessius, devenu orphelin suite à la disparition de ses parents au cours d’un naufrage, a été recueilli par son oncle, maréchal qui a en charge l’organisation des Postes nocturnes à la mission délicate de transporter les morts à travers le pays. Le neveu apprend la calligraphie, métier de l’ombre chargé de retranscrire les correspondances, de copier les actes de justice. Plutôt doué, il commet néanmoins une bourde en utilisant une encre qui, devenue invisible, rend caduque une sentence d’exécution. Chassé par son oncle à peine sorti de prison , le jeune calligraphe échoue à Ferney chez un certain Voltaire. « Une fois libéré, j'allai voir mon oncle. J'espérais dormir nuit et jour dans un véritable lit, sans la puanteur du cachot, les cris et les rats. Mais mon oncle avait déjà préparé mon bagage et la froide étreinte avec laquelle il me reçut ne célébrait pas mon retour mais mon congé ».

D’abord cantonné aux tâches de secrétariat et d’archivage, le grand écrivain envoie ensuite Delassius à Toulouse pour y mener enquête sur un crime étrange : celui d’un père protestant envers son fils converti au catholicisme. La suite des opérations le conduira à Paris, dans des mondes interlopes et souterrains où se croisent bourreaux et fossoyeurs, dominicains et jésuites, tous hommes de l’ombre conspirateurs et intrigants à comploter contre les philosophes des Lumières et à remettre le pays dans le droit chemin de la foi égarée.

 

    En fait, ce court roman d’à peine deux cents pages, séparé en trois parties constituées de brefs chapitres, tient à la fois du récit fantastique et du roman policier. Mené à un train d’enfer qui laisse peu de place aux épanchements des personnages, il privilégie l’action et les faits souvent traités avec drôlerie et par le petit bout de la lorgnette . On s’y amuse beaucoup de croiser toutes sortes de personnages tels Kolm le bourreau qui mettra au point une machine qui fait furieusement penser à la guillotine ; Von Knopper un fabricant illuminé d’automates et sa fille Clarissa ; Silas Darel un calligraphe muet et remarquable dont la généalogie remonterait aux scribes égyptiens. Dans ce milieu de l’écriture secrète et appliquée, les parfums et les compositions d’encres dominent ; des encres aux multiples pouvoirs, de l’invisibilité programmée à l’empoisonnement instantané.

Ce rythme rapide et très figuratif renvoie bien sûr à l’univers de la bande dessinée. Difficile aussi en lisant les souvenirs de Delassius devenu vieux et exilé à Buenos Aires de ne pas penser aux tribulations d’un autre artisan en son genre, celui créé par Patrick Suskind dans le mémorable Parfum.

 

    Si Voltaire disparaît au fur et à mesure du roman et nous prive peut-être de quelques traits percutants, c’est bien autour du jeune et pas farouche calligraphe que l’auteur de La Traduction et du Théâtre de la mémoire construit son roman frais et enlevé, cultivé et divertissant, dont la syntaxe jamais apprêtée renvoie aussi à celle du dix-huitième siècle.

 

Patrick Braganti