roman

Emmanuel Adely - Mon amour    

Éditions Joëlle Losfeld  - 161p, 15.50€ - 2005

 

 

    

    D’abord, il y a Roberta, la mère dans sa cuisine, épuisée par ses tâches ménagères, l’éducation de quatre enfants, qui ne comprend pas la dépression de son mari Daniel, sans emploi depuis six mois. Pourquoi se plaint-il sans arrêt, est-il toujours fatigué, alors qu’il traîne son vague à l’âme entre siestes indolentes et virées au bistrot du coin ? Elle, elle craint le manque d’argent à venir, la pauvreté, mais surtout ce qu’elle confie à sa sœur Monique c’est son ennui abyssal, sa tristesse profonde, cette impression qui colle à la peau de ne plus être vivante.

Comme elle l’était au temps de José, qui pourtant l’a plaqué avec son marmot Kévin pour une jeunette mieux disposée. José elle l’a aimé comme personne, même si elle ne peut oublier toutes les saloperies infligées. Daniel a su dès le premier jour que Roberta ne l’aimerait jamais, l’accepterait juste comme une béquille, un pis-aller.

Puis il y a Kévin, l’aîné, pédé qui multiplie les étreintes fugaces dans les endroits sordides pour le seul plaisir d’avoir un corps puissant et viril qui le recouvre, l’engloutisse pendant quelques minutes. Surtout pas d’amour, juste de la baise.

Viennent ensuite les jumeaux Fred et Sandrine : lui est parti, marin au long cours comme promesse de voyage et d’avenir tranquille, mais sa copine n’a pas bien supporté cette absence, ce sentiment de ne plus être protégée. L’histoire s’est terminée, tout comme celle de sa sœur avec son pote Jérémy part à vau-l’eau par manque de dialogues, par certitude de ne plus être en phase.

Et le petit Franck, un gamin asthmatique, est déjà le réceptacle presque inconscient de toutes ces situations qui dérivent, qui pourrissent et il bascule dans les petits délits comme une vengeance. Comme un appel, un cri.

 

     Il n’est question que de cela dans le septième roman de Emmanuel Adely : non pas des dialogues entre ses différents personnages, mais des monologues comme des confessions, des vomissements, des bouteilles jetées dans la mer de l’indifférence et du désamour, des paroles sorties des tripes trop longtemps retenues qui sortent en un flot continu, une diarrhée verbale. Le besoin de dire son malheur, son incompréhension de l’autre, ses interrogations sur la vie, l’amour et d’exprimer en filigrane son désarroi, sa peur.

Des questions essentielles que chacun s’est un jour posé : deux êtres, de sexe différent ou de même sexe, sont-ils faits pour vivre ensemble durablement ? Et ne vaut-il pas mieux tout arrêter quand l’amour s’est éclipsé ? Peut-on vivre sans amour, est-on encore vivant ?

C’est pourquoi le livre de Adely a la force d’un coup de poing, d’une énorme claque. Ce que le style et l’écriture de l’auteur viennent renforcer. Nous sommes ici dans le domaine de l’oralité, les longs monologues à la ponctuation rare, laissée à l’appréciation du lecteur, semblent retranscrits comme un enregistrement réalisé par l’auteur, conférant au livre un aspect sociologique qui n’est pas sans rappeler les confessions recueillies par Pierre Bourdieu pour La misère du monde. Une écriture de l’intimité, de l’intériorité de la part d’un auteur nullement intéressé par l’action externe, mais passionné par les rapports humains.

 

    Supprimer la distance respectueuse entre langue écrite et langue parlée – faire abstraction de son propre style, se mettre en retrait de son ego d’écrivain - et inscrire ses personnages dans le réel apparaissent comme l’essence même du travail de Adely, jetant au passage une passerelle avec celui de François Bon. Du fait même du sujet omniprésent, l’amour, ce procédé a d’autant plus d’effet chez le lecteur.

S’il est indéniable que Mon amour touche à l’universel et à l’éternel, il ne faut pas non plus perdre de vue que l’auteur inscrit son récit dans un environnement défavorisé, touché de plein fouet par chômage et précarité, manque de repères et d’espoirs et dresse en pointillés un tableau juste et effrayant de l’état de notre société.

Dont chaque individu connaît et exprime à sa manière avec sa culture et ses mots les plaisirs et les tourments des sentiments.

Emmanuel Adely confiait récemment : « Moi, j’ai vraiment envie de donner la voix, la parole aux gens, d’aller vers cette matière brute et de la donner à entendre au plus près d’une réalité orale. ». Avec Mon amour, le but est largement atteint.

 

Patrick Braganti

 

Date de parution : 06/01/2005

 

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