roman

Philippe Vilain - Paris l’après-midi

Éditions Grasset - 162p, 13.21€

[4.0]

 

 

Paris l’après-midi c’est comme L’été à Dresde : la dérive incontrôlée du corps soumis aux courants singuliers de l’état amoureux. Singularité forcément exemplaire dont, à l’infini, la fiction – celle de Philippe Vilain en particulier – s’acharne à décoder les formes. Aussi, de livre en livre, redécouvre-t-il, dans l’éprouvement concret de sa chair, les marges du roman courtois. Car si l’amour vaut tant de peine littéraire, c’est précisément pour ce qu’il révèle de la nature humaine en ses conditions d’exercice. Par la disposition de sa toile progressive sur le corps du sujet, l’amour force au redéploiement d’une géographie personnelle autant que générale (disons : spatio-temporelle) ; Il malaxe la mémoire, qualifie le temps, surprend : « Il est étrange de se dire que notre avenir se compose de passés et de secrets qui, comme des bombes à retardement, attendent d’être révélés » affirme Vilain sans pathos ni tragédie mais avec la distanciation propre, en effet (voir la quatrième de couverture), à une certaine tradition du moralisme à la française.

 

Expérience à vif, Paris l’Après-midi cherche donc, comme un jeu de miroir, à serrer l’attention dans une toile close, formée par la science d’une écriture réflective, factuelle et analytique, qui avance tout en reculant. L’obsession de Philippe Vilain romancier sera, une fois encore, de se penser, en tant que sujet principal certes, mais sans figure de style, dans la seule optique assumée de faire émerger, au terme de l’expérience, un début de logique - ambition sans doute illusoire. Un acte poétique en somme, qui bat les cartes, ébranle les certitudes. S’y niche aussi un discours de la méthode applicable au geste artistique comme à n’importe quelle situation (le cas Flore Jensen, ici) : vivre pour penser. Pas d’épanchement factice ni de rancœurs faciles type roman de gare ; Il ne s’agit pas non plus de désigner une victime et son bourreau, sinon l’un et l’autre, à tour de rôle. Car tel est le destin des êtres vivants, un narrateur amoureux, une Flore étrangère.

 

Nouveau portrait de femme après l’Elisa allemande, Flore la nordique incarne cette nuance inédite d’une figure adultère, ouverture implacable sur des abîmes en cascades de trahisons, de faux-semblants, d’échecs et de malentendus. Ballotté, Philippe Vilain narrateur se laisse porter ; les routes sont mornes, c’est l’enfance, l’Italie, le monde, la traversée inattendue de zones troubles de sa mémoire dont il se voulait débarrassé, comme ces quartiers parisiens dont il évite la fréquentation. La violence des chocs perçus par les corps détonne dans un univers d’apparence froide. On repense, par exemple, à cet autre trentenaire de la littérature française (Eric Laurrent) qui, voici quelques mois, surnageait à peine après le souffle Clara Stern. Même cause, mêmes effets ou presque. La somme des incompréhensions finit par l’emporter, et la vie - indéchiffrée - s’écrit encore et toujours malgré soi.

 

Christophe Malléjac

 

Date de publication : 1er septembre 2006

 

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