roman

Thomas A. Ravier - Le scandale McEnroe

Editions Gallimard/Coll. L’infini – 107 pages, 12,50 €

[1.0]

 

 

Vous rêvez de publication ? Avide d’une gloriole sans suite, vous  voudriez lire votre nom lettré de rouge sur le fond crème de Gallimard ? Peu de ventes à espérer, mais une jolie petit renommée de quartier ? Et, cerise sur le gâteau, le soutien inconditionnel de Josyane Savigneau ? Ecrivez Le scandale McEnroe. Ou tout Cécile Guilbert. Ou François Meyronnis. Ou Raphaël Denis. Ou Antoine Buéno, Arnaud Viviant, Emmanuel Catalan, Stéphane Zagdanski première époque (pourtant la moins mauvaise).

 

Principes de cette littérature à contraintes : affirmez la singularité sous-estimée de votre sujet, dont le geste poétique n’est apparu, dans toute l’histoire de l’humanité, qu’à votre œil avisé. Livrez-nous comme de l’or les pièces éparses de votre vie de célibataire parisien, vivant actif – et pas que de nom. Enrobez le tout sous d’habiles citations de la bibliothèque chic et choc – Debord, l’Evangile, Céline, Proust, Clausewitz, Nabokov – et roulez carrosse. Si vous suivez la ligne avec la juste concentration d’un dissertateur de classe terminale, la machine s’activera d’elle-même, mode pilote automatique pour recycler (économie de frais, ça fait plaisir au Boss) jusqu’au charbon de l’usine Infini : une pelleté Zagdanski, deux brouettes Sollers, etc..

 

Au final, vous tiendrez votre objet, délicate esbroufe formatée pour Saint-Germain des Près, vide comme le Flore au mois d’août, mais qui fait écrivain : ouf ! A vous l’assurance d’une petite célébration entre amis. Bigre ! Vous avez une thèse à défendre ! McEnroe sportif bigger than life. Et vous ne rigolez pas : matériau lourd en arrière plan, son Heidegger ingurgité (« Le tourisme n’étant que l’accélération ultime des processus de remplacements techniques corporels »), son New York vraiment vécu  (Le Céline obligé, sur le sujet, page 69), le jazz comme référence franchement inattendue (de vieux standards, hein, on peut entendre le tennis cool mais, pour le reste, qu’est-ce qu’il faut dire ?).

 

Et puis, ne doutez pas, vous êtes un sacré penseur, qui nous prenez toujours en faute ! D’où sortez-vous, par exemple, ce bloc original de perspicacité : « Quoi ? Vous n’aviez jamais songé de peur de bouleverser la hiérarchie culturelle qu’un grand golfeur, à partir d’un sens météorologique intérieur, s’entretient en secret avec les vents, dans un dialogue avec les éléments littéraire et musical (le swing), mesurant la réalité de ces derniers, la verve de la nature, mieux, plus verbalement en tous cas, que nos procédures connues d’évaluations ? Dommage. Encore un petit effort. Allez.» ?

 

Baissons les armes.

Acclamons votre autorité.

De toutes façons, vous nous avez prévenus : « A la fin, quoi qu’il arrive, c’est toujours la Technique qui gagne » (enfin, chacun sa victoire, hein. On sait bien, heureusement, qu’il existe aussi en France quelques vrais écrivains, un peu moins préoccupés de publication et de lumière médiatique. Non, pas Sollers : éditeur (ici, entre autres) et écrivain, dont la consternante production se noie toujours plus dans un effrayant radotage – comment a-t-il pu en arriver là ?).

 

Christophe Malléjac

 

Date de publication : 28 septembre 2006