roman

Atiq Rahimi - Terres et cendres    

POL - 2003

 

 

   

    Après le massacre d’une partie de la population d’un village afghan par l’armée russe, un grand-père se met en route avec son petit-fils qui a aussi survécu mais est devenu sourd (alors que l’enfant pense que ce sont les autres qui sont devenus muets, les russes ayant « volé leurs voix »), ceci afin d’annoncer à son propre fils la mort de sa famille. Dans ce voyage très lent, sur une route qui se perd à l’horizon sur des paysages désolés, le vieil homme, qui attend le passage du camion qui le conduira près de son fils, ressasse des questions sans réponses. Il implore surtout le ciel de l’aider, sachant qu’il va « poignarder avec la lame du chagrin son fils Mourad en lui apprenant la mort de sa mère, de sa femme, de son frère et l'infirmité de son fils ». Or, ce fils travaille dans une mine de charbon, apprenant à devenir un prolétaire modèle sur lequel pourra s'appuyer le régime communiste pour fonder l'Afghanistan nouveau…

 

    Dans ce livre rédigé par Atiq Rahimi, jeune afghan exilé en France, tout est dit. Dans un langage épuré et minimaliste. Qui parle de l’Afghanistan et de la guerre, et aussi de la solitude où se murent ses habitants. Qui sait évoquer les regards qui passent sur les ondulations des vallées arides et des routes – et l’attente, implacable, où l’on voit les silhouettes se confondre avec les montagnes, et les rivières prendre feu ; attente où l’on prend conscience qu’on n’a plus le courage de s’excuser, ou même de laisser les larmes couler. Parce que « le chagrin endurcit les hommes », que les questions sans réponses prennent possession des esprits, que « les yeux brûlent d’insomnie », et que le sommeil lui-même n’apporte plus la paix. Alors qu’on aimerait pouvoir « dormir comme un enfant, un nouveau-né » – et surtout, « reprendre la vie au commencement… ».

 

    Durant ce long voyage dont le temps s’étire, le vieil homme, qui a « vu de visu sa propre mort », mastique longuement son tabac en laissant voguer son esprit, obsédé qu’il est à l’idée de pouvoir trouver les mots justes pour annoncer l’impensable… Pensif, il se dit que « les morts sont peut-être plus heureux que les vivants »… Mais les choses ne sont pas (plus) aussi simples que le naswar qu’on mastique… Et dans ce pays ravagé où les ombres s’étendent et où les soit-disant vérités se contredisent… (manipulations des uns, peur des autres…), l’écriture intime et pudique de ce petit livre dit l’essentiel. Et rappelle, avec pertinence, que la violence peut appeler la violence : «Tu sais, la douleur, soit elle arrive à fondre et à s'écouler par les yeux, soit elle devient tranchante et jaillit de la bouche, soit elle se transforme en bombe à l'intérieur, une bombe qui explose un beau jour et qui te fait exploser

 

    Atiq Rahimi est un jeune écrivain-cinéaste (il a prévu d’adapter lui-même son livre à l’écran en 2004), qui sait redonner vie à une pensée afghane, à travers les subtilités du dari, la langue persane (ici traduite), langue épurée qui sait si bien exprimer la violence et les émotions de ce pays et de ses habitants meurtris et pourtant si pudiques. Ceci pour lutter contre l’indifférence, à sa manière, parce que « parler, ça ne suffit pas, mon frère, si on ne t’entend pas, ça ne sert à rien, c’est comme des larmes… » - « et puis les hommes n’ont plus de voix, la pierre ne fait plus de bruit… le monde est silencieux ». Et lire aussi ce petit livre peut être une manière de se rappeler juste, parfois, que l’indifférence est une des pires choses dans ce monde.

 

Cathie