roman

John Burnside - Une vie nulle part

Editions Métailié/Bibli. écossaise - 408p, 22 €

[5.0]

 

    

    Quoiqu’en témoigne le « nulle part » du titre, il est bien ici question de l’idée du lieu avec pour le caractériser l’importance des racines fondatrices – ou parfois d’absences de -, son lot de rejets et de retrouvailles, donc de départs et de retours. Le lieu en question, c’est Corby, une petite ville industrielle d’Angleterre au milieu des années 70, ville minière, triste et grise, où les hauts fourneaux viennent rompre la monotonie plate du paysage. Une manne pour l’embauche, ce qui attire les ouvriers des pays voisins, comme Francis et sa famille venus d’Ecosse, mais aussi des émigrants plus lointains, comme Jan et les siens , « des personnes déplacées de Lettonie »,selon la propre formule d’Alma, la mère de Jan ignorant à jamais d’où elle vient – reposant du même coup l’éternelle question de l’origine et du lieu.

 

    Le prodigieux second roman du poète écossais John Burnside s’articule autour de Francis et Jan, deux adolescents déracinés que leur étrangeté au monde et leur soif d’absolu rapprochent dans une amitié nourrie d’utopies et d’illusions, mais aussi aux différentes prises d’acide et de LSD sous fond de musique rock. Francis débarqué d’Ecosse pour rejoindre son père Tommy et sa mère Lizzie est perçu comme un garçon indifférent, nullement méprisant ; juste une envie de ne pas être là parmi les autres garçons de l’école. Jan, fils de Marc et Alma, frère d’Alina, trait d’union entre les deux amis, est plus renfermé que Francis, vivant dans un monde imaginaire , « une alternative élaborée à tout ce dont il ne voulait pas ». Entre l’écossais bagarreur et intransigeant et le doux letton coupé volontairement de l’espèce humaine naît une amitié indéfectible. Jusqu’au jour où un drame survient et précipite Francis d’abord sur les routes d’Angleterre où il intègre une curieuse communauté sectaire, puis en Californie où il exerce un tas de métiers.

A travers ce magnifique et tragique récit, John Burnside évoque les questions essentielles de la mort, du deuil et de retour à la vie. Comment vit-on après la mort d’un être aimé ? Comment continuer avec ces souvenirs, comment se reconstruire ? Autant de questions auxquelles Francis révolté et solitaire, refusant toute attache durable, tente de trouver réponse, y compris dans une série de longues missives posthumes qu’il adresse symboliquement à Jan, mais qui sont d’abord sa propre thérapie comme catharsis possible.

 

    Avant d’être un roman de l’errance et de la recherche, Une vie nulle part est aussi dans ses deux premiers tiers le portrait de personnes entourant les deux adolescents, surtout des membres de leur famille, toutes perdues et déracinées, écrasées par cette morne bourgade elle-même enfouie sous les cendres engendrées par l’activité incessante des aciéries locales et ravagée par la violence ordinaire, aboutissement inexorable de la frustration et de la misère humaine.

Ce roman est un livre grandiose non seulement par son propos, la force et la splendeur qui le nimbent de bout en bout, mais aussi et surtout, par la forme employée. Tour à tour, John Burnside épouse les points de vue de ses différents protagonistes et décortique avec minutie et tendresse leurs états d’âmes et leurs difficultés à vivre. La langue de l’auteur est précise, riche d’adjectifs et composée de longues phrases jamais pesantes, ni laborieuses. On est emportés par cette écriture aux confins de l’hallucination.

 

    Pour Francis, cette quête de la vérité et de son harmonie intérieure passera par le retour à la case départ, mais peut-on échapper à cela et au contraire l’acceptation et la paix recouvrée ne sont-elles pas le tremplin nécessaire à une vie, enfin quelque part ? Après tant de turbulences et de souffrances, la porte peut s’ouvrir pour que Francis trouve un peu d’apaisement que John Burnside communique par son talent à son lecteur comblé.

 

Patrick Braganti

 

Date de parution : 26 Août 2005

 

> Réagir sur le forum Livres