BD

Olivier Spinewine - Clair soleil

5ème couche - 48p, 18€ 

[4.0]

 

 

    L’histoire est simple, sinon simplissime, et sert de fil rouge narratif prétexte. Jocko est un petit bonhomme apparemment en vacances sur la côte belge avec Bo’ archétype de la grand-mère du plat pays. Les deux protagonistes investissent l’appartement de villégiature familial pour une période de vacances indéterminée. Les journées s’y déroulent comme se déroulent toutes les journées d’enfance sur la côte flamande. Lenteur, peur, émerveillement, majesté des éléments, imaginaire, déceptions, activités ludiques s’y succèdent à leur rythme si particulier.

 

    D’abord, on se sent intimement proche de l’appartement clair soleil sur la digue de mer, quelque part entre Coxyde et Saint Idesbald. Parce qu’on a partagé aussi avec nos grands parents des moments similaires, au même endroit (ah les galettes dans la boîte en fer, le papier peint démodé, les soirées sans télé, et les gens qui chantent sur la digue…). Le récit de Spinewine nous touche. Mais pas uniquement pour cette raison. Réduire l’œuvre à cette seule évocation tiendrait de la littérature régionaliste ou historico-nostalgique et tel n’est pas ici le propos.

 

    Non. C’est surtout, parce qu’au travers d’un dessin qui relaie l’évocation, Olivier Spinewine réussit en dessin ce que Léon Paul Fargue parachevait en littérature avec le piéton de Paris. Mettre en évidence le personnel, le particulier, le cocasse, le nostalgique, le trivial, l’authentique, et arriver par une description très personnelle ou morcelée, à rendre la substantifique moelle d’un lieu et d’une époque. Partant du particulier pour atteindre l’universel. Tout est ici d’ailleurs plus affaire de mise en exergue d’éléments (les patins à roulettes du magasin de la digue, le crucifix au dessus de la porte, le lavabo dans les chambres, le diorama du parc d’attraction…) et d’atmosphères, que de figuration au sens habituel de la bande dessinée. On songe à Dave McKean, quand Spinewine parlerait plutôt quant à lui de l’Allemand Beuys. Déstructuré, déstructurant, un dessin qui retient de ci de là quelques éléments signifiants et se soucie assez peu du reste, démarche qui frappe l’imaginaire plus que la stricte vision. Un dessin qui utilise l’aplat de couleur comme un élément de cette foire à la signifiance plus que comme une colorisation véritable.

 

    Et si la grande absence de révolution littéraire et les quelques faiblesses de dialogue ou de phrasé des protagonistes -il y a tout de mêmes quelques enchaînements à relire plus d’une fois pour être sûr d’avoir bien compris, et quelques scènes parlées qui sonnent un peu « faux »- sont parfois reprochables, c’est bien le seul point qui titille notre mauvaise langue innée. On trouvera d’ailleurs quelques similitudes dans le déroulé narratif de Clair soleil avec ces enchaînements sans début ni fin, cette histoire sans climax, ou seul compte les référents plus que la narration en elle même, qu’était le lundi rue Christine d’Apollinaire. Un élément de plus en tous cas à la grande atmosphère que veut transmettre le livre, plus que l’histoire qu’il voudrait raconter.

 

    Mélange de souvenirs, d’évocation, de nouvelle génération de bande dessinée, autant qu’œuvre synthèse, livre-atmosphère, ouvrage d’ambiance transcendant une absolue réalité en poésie. Clair Soleil avec son dessin qui n’en est pas vraiment un et son histoire qui n’avance pas vraiment, parle directement avec nos sens. Et ce tête à tête sans neurone mais plein de sentiments est plutôt réjouissant. Une réussite !

 

Denis Verloes

Date de parution : 2005

 

> Réagir sur le forum BD

 

Plus+

La page de Spinewine à la cinquième couche

Diffusion en France : Le Comptoir des Indépendants

Diffusion en Belgique : Aden