BD

Boilet - L'épinard de Yukiko  

Ego comme x - 2003 (réed. 2001)

 

 

 

    Un jeune français, auteur de manga installé au Japon, rencontre lors d’un vernissage une jeune japonaise, Yukiko, à qui il reste une cicatrice de varicelle sur le front, de la forme d’un épinard. Malheureusement, celle-ci a en vue un autre homme qui doit la contacter dans quelques semaines. Cela laisse le temps aux deux héros de vivre une aventure éphémère et passionnelle. L’épinard de Yukiko est la troisième œuvre «japonaise » (ayant le Japon pour cadre) publiée en français après Tôkyô est mon jardin et Love Hôtel de l’auteur (sans compter Demi tour publiée en 1997), mais la première d’abord prépubliée au pays du soleil levant. Continuant dans la même veine intimiste que ses albums précédents, Boilet présente avec cet ouvrage la mise en pratique de son manifeste de la « nouvelle manga », très proche des productions japonaises du fait de l’importance accordée à la narration, mais rappelant le ton du cinéma français de la « nouvelle vague », pouvant à la fois se définir comme une bande dessinée franco-belge d’auteur, mais aussi comme une manga d’auteur.

 

    Chaque œuvre de l’auteur nous présente une évolution très nette dans son style graphique. Encore plus photo réaliste, le dessin n’est pas cette fois constitué d’aplats noirs et blancs comme dans Tôkyô est mon jardin, mais évolue dans de subtiles teintes et nuances de gris. Cela donne indéniablement une atmosphère plus chaleureuse, plus sensuelle, plus nostalgique à l’œuvre, et le trait de l’auteur apparaît encore plus abouti. Avec toujours cette mise en scène si riche, si variée, si dynamique propre à l’auteur, à la fois capable de nous montrer le temps qui passe, furtivement, ou lentement, mais aussi arrive à nous imprimer le mouvement, notamment lors des scènes érotiques.

 

    Et comme souvent chez Boilet, on se trouve au cœur de l’ambiguïté constitutive à la création d’une œuvre, puisque l’auteur se représente lui-même, et dessine son héroïne à partir de photo d’un modèle. Et plus encore, il se représente en train de créer l’œuvre elle-même, nous donnant alors à voir une intéressante mise en abyme, où les frontières entre la réalité et la fiction, le vécu et l’imaginaire, sont extrêmement floues. Et toujours en filigrane la découverte du Japon et des Japonais à travers les yeux d’un occidental, qui possède encore quelques difficultés à identifier ou prononcer parfaitement certains mots.

 

    Mais surtout, l’épinard de Yukiko nous donne à voir une histoire simple, tendre insouciante et fraîche, comme sait si bien les créer l’auteur. Nous offrant diverses tranches de la vie quotidienne de ses personnages, toujours drôles, toujours émouvantes. Véritable ode à la femme et à la passion amoureuse, le récit se déroule comme un joli rêve, où le temps semble en suspension, où la vie semble croquée à pleines dents. On sort de cette lecture totalement ébahie, plein d’amertume, de nostalgie, avec comme seule envie de retourner se plonger dans cet univers, dans cette atmosphère si chaleureuse, si douces.

 

Vincent