BD

Boilet & Takahama - Mariko Parade    

Casterman/coll. écritures - 2003

 

 

 

    Le point de départ de Mariko Parade est la volonté de Frédéric Boilet, mangaka français installé au Japon, de réunir dans une même oeuvre l’ensemble des illustrations et histoires courtes ayant pour modèle Mariko, une jeune femme japonaise qui sert de référence à l’héroïne de l’Epinard de Yukiko notamment. Pour ce faire, il a fait appel à une jeune auteur japonaise, Kan Takahama, afin que celle-ci se charge de dessiner et de créer une histoire fil rouge. De là découle une structure narrative originale, où l’histoire centrale, à savoir la ballade de Frédéric Boilet et de son modèle dans l’île d’Enoshima au Japon, partis pour y faire des photos en vue d’un éventuel ouvrage, est entremêlé par les différentes histoires crées par BoiletMariko est le sujet principal.

 

    Il s’en suit alors un contraste particulièrement intéressant entre les deux dessinateurs, avec d’une part le réalisme photographique de Boilet, et d’autre part le joli coup de crayon de Takahama, qui tend parfois sensiblement vers le croquis. L’essentiel de l’ouvrage, presque entièrement en noir et blanc, est dessiné par le trait magnifique de Kan Takahama, qui arrive avec une facilité déconcertante à exprimer une palette extrêmement large d’émotions, de sentiments et de sensations. Les nombreux jeux sur le gris donnent tout spécialement un aspect vraiment enchanteur à l’œuvre.

 

    Les deux auteurs font preuve d’une grande sensibilité, mais surtout d’une grande sobriété et d’une grande retenue dans la mise en scène de leur histoire, nous contant la relation douce et tendre des deux protagonistes, à l’image de l’atmosphère régnant sur l’île. Notamment, les regards, les expressions, en disent davantage que de longs discours. Surtout, la pudeur des émotions et des sentiments mis en scènes contraste étonnamment avec la propension à l’érotisme cher à Boilet.

 

    Et à travers cela se dessine une structure narrative très originale et finalement assez complexe, où les deux protagonistes, s’ils sont bien des personnes réelles, se trouvent également au cœur d’une œuvre de fiction, tout en discutant d’œuvres réelles dans l’ouvrage. Sans compter que Mariko possède plutôt en définitive les traits de Kan Takahama… Le mélange entre la réalité et la fiction, dont la délimitation est particulièrement imprécise, créée ainsi une mise en abyme des plus intéressantes, et donne lieu dans l’ouvrage à d’intéressantes réflexions sur l’art et la création, même s’il ne s’agit pas du cœur de l’oeuvre.

 

    Au final, une bien belle œuvre servie par une très jolie édition, faite d’un papier noir excellent. La meilleure image que l’on pourrait donner de l’œuvre est sans doute ce que rapporte Kan Takahama dans la préface de l’œuvre : « Il n’y a pas d’action, pas de grands événements, juste le temps qui s’écoule, et pourtant, on quitte le livre avec un poids sur le cœur, presque une souffrance… ». A mon avis la meilleure œuvre de Boilet.

 

Vincent