BD

Osamu Tezuka - Ayako t.3  

Delcourt - 2004

 

 

 

     Osamu Tezuka, considéré comme l’un des maîtres du manga, commence doucement à voir une partie non négligeable de son œuvre traduite et adaptée en français. Ayako en fait partie, et nul doute que ce n’est pas la moins intéressante. L’histoire prend place quelques années après la Seconde guerre mondiale, alors que le Japon est en pleine reconstruction, et doit collaborer, plus ou moins difficilement, avec l’occupant américain. Ayako se trouve être la fille illégitime du vieux patriarche de la famille Tengé, grand propriétaire à la tête d’immenses terres mais que les réformes agraires mettent à mal. Mais le retour dans la famille de Jirô, l’un des fils Tengé, ancien prisonnier de guerre et travaillant désormais pour les services américains va mettre définitivement à mal la situation de cette grande famille déjà déchirée par des conflits internes, et c’est la petite Ayako qui va en subir les plus terribles conséquences.

 

    Tous ceux qui ouvriront pour la première fois une œuvre de Tezuka seront peut-être surpris et rebutés par le dessin de l’auteur. Derrière une apparence simpliste, le trait de Tezuka s’avère en fait complètement maîtrisé, et sert au mieux le déroulement de l’histoire.De plus, l’auteur excelle véritablement dans la mise en scène, et se laisse même parfois aller à quelques expérimentations très réussies dans l’agencement des cases.

 

    Ayako se présente donc comme une œuvre complexe, sombre et grave, dont la lecture comporte plusieurs niveaux et dont l’histoire se disperse en plusieurs fils qui finiront par se rejoindre. C’est tout d’abord un drame familial auquel nous assistons à travers la déchéance d’une grande famille traditionnelle japonaise, qui s’entre déchire, et dont les liens se brisent irrémédiablement. Ayako, encore toute jeune fille, se trouve au centre de ce conflit et va en faire les frais plus que quiconque. Chaque personnage nous est présenté dans toute sa complexité, sans aucun manichéisme. Les bons et les méchants sont totalement absents de cet univers, et l’auteur prend bien soin de nous montrer les raisons qui poussent chaque individu à agir, sans jamais juger ou prendre parti.

 

    Ensuite, Ayako s’avère également être une affaire d’espionnage et une enquête policière, puisqu’un drame va définitivement participer à la chute de la famille Tengé. Enfin, Ayako se présente également comme un formidable tableau politique, social, et culturel du Japon d’après guerre, notamment dans le premier volume. Outre la description profonde de cette famille, symbole de la déchéance du Japon traditionnel et des mutations profondes de la société, l’auteur nous donne à voir la reconstruction difficile d’un pays au sortir de sa traumatisante défaite. Entre les grandes évolutions sociales insufflées par l’occupant américain, la répression des premiers mouvements socialistes, la mise en place des réformes agraires, c’est tout un pays et toute une société qui est en train de durablement et brusquement changer.

 

    Malgré une chute un peu trop théâtrale et légèrement décevante, Ayako est une brillante saga en trois volumes, au ton résolument tragique. Ce n’est sans doute pas la meilleure œuvre du maître disponible en français mais la lecture n’en reste pas moins tout à fait recommandée.

 

Vincent