BD

Nakazawa - Gen d'Hiroshima    

Vertige graphic - 2003

 

 
 

    L’éditeur Vertige graphic nous fait le bonheur de nous offrir une nouvelle édition de Gen d’Hiroshima, auparavant déjà publié chez aux Humanoïdes associés ou chez Albin Michel, mais pour le premier tome uniquement. Ce manga en 10 tomes (dont 2 parus pour le moment) des années 70 constitue une œuvre quasi autobiographique sur le drame d’Hiroshima et ses conséquences sur les populations locales, en particulier sur Gen et sa famille. Dans le premier tome, l’auteur nous décrit l’atmosphère et les conditions de vie des japonais pendant la seconde guerre mondiale, en particulier les affronts vécus par la famille de Gen, qui se veut pacifiste, et termine son récit, dans les dernières pages, par l’explosion de la bombe d’Hiroshima. Le second volume enchaîne directement sur les conséquences à court terme de l’événement.

 

    Le dessin de l’auteur apparaît, a priori, clairement comme le point faible de l’œuvre. Présentant à la fois un caractère vieillot et simpliste, il tend également vers la caricature, et offre en tous les cas un aspect véritablement naïf. Si cela peut gêner, voire rebuter, au premier abord, cela n’en constitue toutefois nullement un obstacle véritable. D’abord parce que l’auteur maîtrise malgré tout parfaitement son style graphique, pour une œuvre qui était sans doute conçue à l’origine comme un témoignage envers les générations futures, y compris les enfants. Ensuite parce que l’on se rend compte finalement que l’aspect enfantin du dessin contrebalance efficacement l’horreur du témoignage de l’auteur.

 

    Témoignage d’une tragédie, Gen d’Hiroshima offre des moments de lecture particulièrement intenses et éprouvants, que ce soit dans les conditions de vie des japonais sous la guerre et après l’explosion de la bombe, avec notamment le militarisme quasi unanime de la population, le racisme jusque dans la mort envers les Coréens. On trouve, aussi et surtout, dans ce manga la présentation des conséquences concrètes de la bombe, que ce soit à travers les énormes destructions matérielles, et plus encore à travers les milliers de morts, les défilés incessants de cadavres ou de personnes brûlées, l’errance des gamins orphelins, sans compter les conséquences des radiations dont les effets mortels sont totalement inconnus de la population. L’auteur veut nous montrer, dans tous ses détails, dans toute l’ampleur du désastre, la tragédie d’une guerre et d’une bombe nucléaire, sur une population meurtrie, qui sombre psychologiquement et humainement, et sur un pays qui se trouve au bord de l’anarchie, totalement désorganisé.

 

    Réquisitoire implacable envers les hautes autorités gouvernantes et militaires, qui ont mené un pays à sa perte, l’œuvre se veut également être une charge contre ses concitoyens, que la guerre tend encore plus à séparer, provoquant des rancœurs démesurées. De par sa nature même, en tant que témoignage réel, l’œuvre provoque chez le lecteur un choc d’une ampleur rarement égalée en bande dessinée. Gen d’Hiroshima est clairement l’une des œuvres les plus fortes, les plus dérangeantes qu’il me soit arrivé de lire. Une lecture dont on ne sort assurément pas indemne, et dont on peut espérer que les volumes suivants suivront la même voie.

 

Vincent