BD

Entretien avec  Sébastien Gnaedig et Philippe Thirault

mars 2006

 

 

 

L'un (Philippe Thirault) écrit des scénarios pour la bande dessinée, mais également des romans noirs. L'autre (Sébastien Gnaedig) est dessinateur et directeur éditorial chez Futuropolis. Tous les deux se retrouvent de temps en temps pour nos offrir des bandes dessinées pétillantes, souvent drôles et mordantes : la série "Miss" (les humanoïdes associés), "Mes voisins sont formidables" (le Cycliste) et "vider la corbeille" (Rackham).

Ils nous parlent sur leur nouvelle collaboration (Un épaisse couche de sentiments) Une BD qui parle une fois encore du monde impitoyable de l’entreprise.

 

Comment vous est venu l’idée de retravailler sur le monde de l’entreprise, un sujet déjà abordé avec Vider la corbeille ?
Sébastien Gnaedig : l’envie de continuer de parler du monde du travail, un sujet qui concerne la grande majorité des gens ! Je trouve que la bande dessinée est un média idéal pour ce genre de sujet. Cela permet d’être assez incisif.
Philippe Thirault : Il y a tellement de choses à dire concernant l’entreprise… Il faudrait beaucoup d’autres albums pour témoigner de la souffrance quotidienne que représente pour bon nombre de personnes le monde du travail. 

Est-ce un monde que vous connaissez plutôt bien ?
SG : je travaille en entreprise depuis 16 ans.
PT : Dix ans employé d’un institut de sondages, qui sont des laboratoires de la précarité car ils utilisent depuis des lustres des armées de vacataires. A côté de ce genre de statut, le CPE est une avancée sociale, c’est dire. Pour le reste, j’ai des yeux et des oreilles. 

Vous êtes vous documenté précisément avant d’écrire le scénario ?
PT : Oui pour quelques détails techniques propres à l’histoire (récurrence autorisée des plans sociaux, déclaration légale d’abandon…). Concernant d’autres points, ce sont des situations que j’ai écoutées, que j’ai observées ou que j’ai vécues. Il y a finalement un paquet de gens aussi documentés que moi. Mais il ne s’agit pas d’une BD documentaire. Le but était de faire passer des choses par le biais d’une fiction à la fois réaliste et improbable. C’est ce mélange des genres qui permet d’en rire, même si c’est jaune. 

 

C’est un thème de plus en plus présent aujourd’hui au cinéma (Violence des échanges en milieu tempéré, ressources humaines...), en littérature (Le couperet de Westlake) mais moins en BD. Est-ce à dire que les auteurs de Bd sont peu engagés d’après vous ? 
SG : il faut bien se dire qu’au niveau du dessin ce n’est pas très passionnant ! Il faut aussi gérer des scènes de plusieurs pages en huis clos, dans des bureaux qui se ressemblent avec des décorations très limitées. À la fin d’un album cela devient difficile de se renouveler !
PT : On sent le dessinateur qui a souffert… Mais Sébastien, tu oublies la Cause, enfin ?? Bon, être engagé ce n’est pas forcément avoir des discours engagés. Un bon artiste est déjà quelqu’un d’engagé. 

 

L’histoire de Une épaisse couche…est assez simple, le message est clair, direct. C’était une réelle volonté pour vous d’aller à l’essentiel, de ne pas partir dans une histoire trop compliquée ?
PT : Après tout, pourquoi parler de façon compliquée de choses simples ? Au fil des siècles on a remplacé la pratique du fouet par des pratiques d’entubage managérial. Mais tout cela reste d’une simplicité tristement biblique. 

 

D’où vient cette idée de donner des noms de joueurs de foot à vos personnages ? 
SG : tu es démasqué Philippe !
PT : C’est un clin d’œil mi-amusé mi-désabusé : La BD est un milieu désespérant pour un amateur de foot : 90 % des auteurs sont des mecs, et pratiquement aucun n’est branché foot ! 
Quant aux footeux cités ce sont généralement des joueurs juste honnêtes (pour rester gentil). Quoique notre héros Réveillière soit devenu un très bon joueur depuis l’écriture du scénario (qui remonte à 2003) ! 

Vous vous faites assez rares tous les deux en BD, pourtant, à chaque fois, vos livres sont de vraies réussites (mes voisins sont formidables, vider la corbeille). Comment travaillez-vous ensemble en général ? Comment se dessinent vos collaborations ?
SG : nous sommes complètement en phase quand au sujet et au ton que nous souhaitons. J’ai sollicité le premier Philippe pour qu’il m’écrive un scénario lorsque Le Cycliste m’avait proposé de faire quelque chose pour eux. J’aime son regard, son écriture et cela a été un grand bonheur lorsque Philippe a accepté et surtout m’a livré le scénario du premier chapitre de Mes voisins sont formidables ! J’aurai aimé l’écrire. Avec ça, j’étais obligé de le faire ! Nous sommes rares, c’est principalement de ma faute, je travaille la journée et je dessine le soir ou le week-end, je n’ai pas forcément l’énergie de m’y mettre tous les jours.
PT : "Complètement en phase", merci Sébastien tu as bien résumé. Pour notre toute première collaboration, un petit bouquin de 24 pages pour le Cycliste dans leur collection "Comix", Sébastien m’avait juste demandé de lui écrire une "histoire contemporaine". Je lui ai soumis Mes voisins sont formidables et tout de suite il a accroché. Pourtant c’était folichon, hein ! Nous n’avons pas besoin de parler beaucoup pour nous comprendre entièrement, il y a une vraie complicité et un plaisir de raconter les choses. 
(Michel Drucker si tu nous lis, cette séquence t’est dédiée).


Philippe, Vous écrivez également des romans noirs. Le travail sur la préparation du scénario, sur l‘écriture est vraiment différent en BD ?
PT : Il est très différent. Mais je vous dis ça après quelques années de pratique. J‘ai commencé à écrire des romans et des scénarios de BD en même temps et à cette époque bénie de ma jeunesse je me posais peu de questions. Il y avait des histoires : certaines étaient découpées en phrases et chapitres, d’autres en cases et en planches. Depuis j’ai compris deux trois bricoles sur la narration Bd qui est bien spécifique. Je pense être meilleur technicien. Reste à ne pas perdre en plaisir et en spontanéité. 

Sébastien, vous êtes directeur éditorial chez Futuropolis. La nouvelle ligne est une vrai réussite, avec des albums très beaux, très soignés, alliant qualité de dessin et récit solide (je pense plus particulièrement à Lucile, Période glacière et Le sourire du clown) . Quel était votre envie, votre objectif en arrivant chez Futuropolis ?
SG : merci du compliment. L’envie était de faire ce que vous décrivez.

Qu’allez vous développer à l’avenir ? 
SG : la même chose !
J’aime particulièrement travailler AVEC des auteurs, pouvoir discuter des projets et les suivre au fur et à mesure de leur avancée. C’est pour cette raison que je publie des auteurs francophones. Cette aventure n’a d’ailleurs été possible qu’avec le soutien d’auteurs comme Yslaire, Blutch, JC Denis, Rabaté, David B, De Crecy, Hirn ou Brunschwig qui ont répondu présent. Maintenant, il y a de bons auteurs partout et cette question est encore ouverte.

Propos recueillis par mail.

mars 2006