BD

William Henne - L'annonceur    

La 5ème couche - 2003

 

 
 

    Julien Gratz est annonceur. Un jour, usé et désabusé, il décide de se retirer du métier,  et lance une petite annonce à la recherche de son successeur. Jan devient son apprenti. Il lui faut apprendre le métier étrange qui consiste à annoncer la mort aux proches et aux parents d’un défunt. Oiseau de mauvais augure, les annonceurs n’ont pas bonne réputation auprès du public, pour qui ils incarnent la mort elle-même, qui vient frapper à la porte. Raison de plus pour exercer ce métier de la meilleure façon qui soit. Le récit est le parcours initiatique de Jan au travers de ce métier étrange fait de sobriété et de froideur corporelle. Un métier fait de respect et de timbre de voix, de choix de mots et de réserve… L’élève parviendra-t-il à égaler le maître ? Arrivera-t-il à le surpasser même ? C’est ce que le lecteur apprend alors que Jan et Julien Gratz sont confrontés à une situation hors du commun qui les oblige à aller puiser au plus profond des racines de leur métier.

 

    En filigrane de ce récit, William Henne aborde des notions essentielles, mais dérangeantes, de notre rapport à la mort et au décès d’un être proche : sous l’angle de l’histoire, d’une certaine sociologie des rites funéraires, des rapports amoureux brisés par le décès, de la différenciation de l’homme et de l’animal dans la conception de la mort. L’annonceur est le point focal de ces différents angles de vue. L’annonceur est celui qui parle et  qui met des mots sur la venue de la mort. Il est le creuset des différents angles de vue qu’aborde l’auteur autour du thème sous-jacent et inéluctable.

 

    Adaptées au propos dont elles traitent, les techniques de cette bande dessinée font la part belle à la mélancolie et l’obscurité qui seyent  aux ambiances dans lesquelles oeuvrent annonceur et apprenti. Gouache blanche en traits larmoyants, aplats noirs ou gris en sont les pigments principaux. Les personnages sont autant d’ombres impersonnelles, dont émergent les traits de caractères. Ici les hommes ne sont qu’expression. Les froncements de sourcils et les mines dépitées y sont légion. Les décors urbains, faits de gratte-ciels et de rues désertes contribuent à l’ambiance morbide dans laquelle évoluent les protagonistes. Les phylactères y sont réduits à leur plus simple expression, mettant en exergue le dénuement de paroles et leurs absences, en de nombreuses cases muettes qui tendent l’atmosphère. 

A noter, les trouvailles graphiques dont Henne use et abuse pour mettre l’accent sur le discours des annonceurs auprès des familles qu’ils visitent. Photos floues, rebus, etc. créent un nouveau langage permettant au dessinateur d’aborder la multitudes de manières possibles pour annoncer la fin d’une vie…

Une belle réussite d’adéquation entre forme et fond.

 

    Pourtant, et c’est le seul bémol que le lecteur que je suis a envie de mettre à ce récit, on a parfois l’impression que l’auteur ne creuse pas assez loin les réflexions autour de « La Mort ». Si le récit est surprenant et le dénouement efficace, on hésite parfois à savoir si les trouvailles de l’auteur ne sont pas plus esthétiques que véritablement symboliques.  On a beaucoup de mal à s’imprégner des personnages principaux pour ressentir la tension qu’implique leur métier, leur vie et leur sentiments, de même qu’on a beaucoup de difficultés à ressentir la douleur des familles visitées par Jan et Julien. Dommage. C’est finalement l’esthétisme qu’on admirait quelques lignes plus haut qui rend parfois l’histoire trop lisse, trop clinique.

Avec un peu plus d’intensité on aurait tenu un petit joyau de littérature spleenique entre les doigts… On se retrouve finalement avec « seulement » une très bonne bande dessinée.

 

Denis