BD

Munoz & Sampayo - Sophie   

Vertige graphic - réédition 2003

 

 

 

     Munoz et Sampayo sont surtout connus pour leur mythique série Alack Sinner contant les déboires d'un privé qui traîne sa dégaine fatiguée dans un New-York interlope où laissés-pour-compte du rêve américain côtoient tordus et crapules en tous genres. Avec cette foi, mélancolique, tendre et nocturne, fermement ancrée dans la nécessité morale d'une dignité partagée par tous. Autant dire, une chimère dans un monde de corruption pour un être animé d'un désir minimal d'honnêteté.

 

    C'est dans ses pages, avec l'album Viet blues précisément, qu'apparaît Sophie Milasewicz, juive polonaise, incendiaire anarchiste un poil exhibitionniste. Un petit bout de femme au caractère particulièrement bien trempé. Une courte apparition dans Rencontres (peut-être le chef d'œuvre du duo argentin) pour une réplique imparable : "En attendant la fin du monde, comme un espoir sans fin qui ressemble à la vie", avant de la retrouver enceinte, et aux prises à d'autres visions d'apocalypse, dans une des plus belles des Histoires amicales du bar à Joe.

 

    Insaisissable Sophie. Déjà ailleurs. Toujours ailleurs.

Tellement ailleurs qu'elle s'échappe des pages de la série Alack Sinner pour deux histoires en solo qui paraissent chez Futuropolis en 1981 sous le titre Sophie comics. C'est cet album, épuisé depuis très longtemps, que Vertige graphic a la lumineuse idée de rééditer aujourd'hui.

Tellement ailleurs, Sophie, qu'après une nuit chaotique dans un New-York plongé dans l'obscurité pour cause de panne électrique généralisée, elle met plein pot vers le Sud pour échapper aux forces de l'ordre qui la traquent. L'épisode culmine dans une magnifique scène qui voit Sophie traverser la frontière du Mexique entièrement nue. "Elle a laissé ses vêtements de l'autre côté. Avec elle, il n'y a qu'elle."

 

    La suite bascule dans le grotesque hénaurme le plus échevelé. Sous l'influence de champignons magiques, Sophie et les habitants d'Aguas podridas, assistés par les Muchachos de la muerte (des fantômes de combattants de Pancho Villa) refont la prise d'Alamo en prenant d'assaut sa prison dans une furie libératrice qui passe à la moulinette tous les clichés de l'impérialisme américain dans un délire subversif particulièrement jouissif.

La furie apocalyptique que Sophie trimballe depuis Viet blues se résout donc dans la subversion jouissive sous influences illégales. Tout un programme.

 

    Mais attention, malgré la furie libératrice, les lendemains sont loin de chanter chez ces moralistes lucides que sont Munoz et  Sampayo.

Pour la suite des aventures de Sophie, narrées sur un mode plus intime mais tout aussi politique, il faudra attendre qu'un Alack Sinner vieillissant la retrouve dans "La fin d'un voyage" et "Histoires privées", ponctuant, provisoirement on l'espère, les destins croisés de deux des plus beaux personnages de la bande dessinée.

 

Fred