cinéma

Boulevard de la mort de Quentin Tarantino

[4.5]

 

 

On a déjà glosé sur l’étonnante capacité de Tarantino à recracher les images qu’il a dévorées toute sa vie, mais sa cinéphagie a le mérite non seulement de nous surprendre  mais également de remettre à la surface des pépites oubliées du cinéma de genre. En l’occurrence, le cinéaste américain fait briller les films graisseux (appelés Grindhouse) qui ont nourrit les vielles salles délabrées de l’Amérique populaire. Deux films pour le prix d’un, on ressortait bien calé. (R. Rodriguez a réalisé le second volet, mais on peut regretter que le diptyque ne soit pas reconstitué en France). Avec Boulevard de la mort, Tarantino réalise un revenge movie, grande tendance de la série B des 70’s, jouissif et goûteux. Mais au-delà de la digestion tarantinesque, est ce que le film vise plus loin que le potache « sous la ceinture » qui l’a enfanté ?       

 

Le film met face à face un vieux cascadeur damné, balafré, errant sur les routes désertiques du middle-west, et, des jeunes filles sexy, bavardes, traversant le dépouillement local afin de rejoindre l’agitation de la fête. Stuntman Mike (Kurt Russel) pourchasse les filles à bord de sa voiture infernale, à l’épreuve de la mort (Death Proof). Ce vieux loup séduit, babille face à des jeunes filles qui le font passer pour un fossile rockabilly, décrépit comme décollé de l’image d’un drive-in. Mais, cette homme est en chasse, littéralement excité par celles qu’il poursuit, et son extase n’adviendra uniquement que lorsqu’il aura pris le dessus.        

 

Tarantino réutilise l’esthétique crade des films Grindhouse, où le sexe, la sueur, le sang, la poussière sont appelés au rang d’une beauté marginale que Tarantino a toujours su exhausser. Sa monomanie ira jusqu’à feindre le vieillissement précipité d’une pellicule négligée ou des coupes impromptues dues à un bricolage de photogrammes.

Toute la première partie nous offre un panorama des représentations des hommes et femmes du cinéma de genre : les filles parlent des mecs, les mecs aiment les belles carrosseries, etc…Aussi bien vulgaires que superficiels, les protagonistes sont obsédés par le plaisir corporel, les sensations absolues, jusque dans la déviance mécanique pour Stuntman Mike. 

Ces rencontres vont donner lieu à une véritable confrontation sexuelle qui finira forcément par la mort. Le film vibre de la tension, des pulsions qui ronronnent entre les deux sexes, jusqu’à la jouissance finale quand l’un des corps lâche prise. Tarantino filme cette guerre à la manière d’une rencontre sexuelle, entre deux caricatures galvaudées des genres : masculinité hyper virile, voire machiste face à une féminité à la fois précieuse et racoleuse.

Les pulsations de Stuntman Mike rugissent sous la capot de sa mythique voiture. Cet objet-fétiche qu’il tient entre les mains entre dans un rapport métonymique avec sa virilité, au sens phallique. Sa Chevrolet se dresse à la vue des filles, leur colle l’arrière train jusqu’à l’épuisement des énergies.    

Cependant les rôles se renversent, dès que le cinéaste iconoclaste s’amuse des codes qu’il avait pourtant instaurés. Et lorsque Mike croise sur son chemin des filles qui affichent cette même fascination pour les voitures, la vigueur du balafré s’affaisse devant le resserrement vengeur des femmes, dans une course poursuite finale harassante, qui retourne les forces établies. Harnaché à la voiture, jambes écartées sur le capot, la jeune femme ne désire que l’assouvissement de son plaisir. Ici, la fille et la voiture filante sont intriquées en un seul corps insatiable. Et ce n’est pas Mike qui réussira à les « satisfaire ». Geignard et flasque, Mike s’écroulera sur le macadam assénés par les derniers coups de boutoir des ses prétendantes.  

Mais, à ne pas se tromper, Boulevard de la mort est une comédie, certes crue, certes violente, mais extrêmement cocasse, si l’on voit le détachement amusé du cinéaste sur les représentations sexuelles, sur les réorientations qu’il donne au Slasher. Avec allégresse, Tarantino, spectateur fanatique, communie avec nous dans un film que certains qualifieront de mineur, tout au mieux de divertissant. Mais, n’oublions pas que les films de genre des 70’s, sont peut être ceux qui ont essayé de saisir au mieux la société contemporaine…            

 

Boulevard de la mort est un manifeste du plaisir féminin, un cri pour le droit à la jouissance. Ces femmes modernes enterrent la vision archaïque d’un plaisir unilatéral et dominateur, d’un jouisseur égoïste qu’elles combattent pour revendiquer la parité sexuelle. Tarantino féministe ? Pourquoi pas… Cependant, ce discours, comme ses références cinéphiliques sont l’apanage des années 70. Si, bien sûr, la question sur l’égalité des sexes, aujourd’hui, n’est sûrement pas réglée, son propos, bien que mis en scène avec une évidence et flamboyance rare, est une refonte des idéologies progressistes post-68. C’est bien là le syndrome tarantinesque que de ne pouvoir se passer de ses références.

 

Maxime Cazin

 

Film d’horreur/épouvante Américain – 1 h 50 – Sortie : le 6 Juin 2007

Avec Kurt Russel, Rosario Dawson, Rose McGowan, Quentin Tarantino…

 

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www.grindhousemovie.net