cinéma

Tehilim de Raphaël Nadjari

[4.0]

 

 

Une famille de la classe moyenne israélienne à Jérusalem, les Frankel. Deux frères qui se chamaillent, des négociations interminables entre les garçons et les parents pour savoir qui a tort, qui énerve l’autre, qui a commencé. Puis le père, Eli, disparaît subitement, comme une ombre. Après un accident aussi lent qu’inopiné. Le temps que Menachem, le plus âgé des deux frères, revienne à la voiture avec des secours, et la place du père, face au volant, est vide. On ne le retrouvera pas. L’incipit achevé, le film surgit de cet entre-deux incontournable qui suit la disparition d’un proche. Ce laps de temps entre le moment ou il s’est échappé de votre champs de vision et l’instant où il faut bien se rendre à l’évidence : il ne reviendra plus.

 

Caméra à l’épaule, drame intimiste, dans son cinquième long métrage, le réalisateur français Raphaël Nadjari creuse la veine d’un cinéma indépendant à l’américaine. Tourné en Israël et en hébreu, Tehilim (Les Psaumes, en français) renoue avec les thèmes abordés dans le film new-yorkais I Am Josh Polonski’s Brother : le monde juif, la famille, l’alternative entre orthodoxie et laïcité. Héritier de Cassavetes, Nadjari filme ses personnages au plus près de leurs visages, de leurs expressions, de leurs déambulations. Au fil d’une image mouvante et rythmée, le film dévoile la tragédie personnelle de chacun des membres de la famille Frankel. Le jeune acteur Michael Mushonov porte le film comme son personnage son foyer. Ferme, décidé et fragile, il est le pont entre la mère, laïque et la famille paternelle, religieuse. Désorienté, quand sa mère éconduit le frère et le père du disparu, venus réciter des psaumes dans l’appartement familial, pour le fantôme, le personnage de Menachem est toujours en nuance. 

 

Jérusalem, décor de l’action, n’apparaît qu’en contrechamps du quotidien d’une famille ashkénaze modeste. Quelques plans d’ensemble de la ville, des coins de rues, furtifs, le portail de la petite amie de Menachem. Le cœur historique de la ville, terrain symbolique d’un conflit sans fin, reste hors champs. Pas de référence à l’actualité du conflit israélo-palestinien, qui pèse, pourtant en continu sur le quotidien des habitants. Toutefois, ce sont bien les tensions de la société israélienne que le film dessine en creux. Entre la religion omniprésente au quotidien, et les aspirations d’émancipation laïques. Entre la violence et la mort, toujours menaçantes, et les soirées insouciantes des lycéens. Quand les frères prennent le bus pour se rendre à l’école, leur silence, les yeux tournés vers les fenêtres, le cadre resserré, tout rappelle à la fois que le père a disparu alors qu’il emmenait, en voiture, ses fils à l’école, et que dans un bus, à Jérusalem, la possibilité d’un attentat traîne toujours quelque part dans la tête des passagers. 

 

Ce film à la fois sensible et sec, dans le traitement de l’intrigue et des sentiments, pose donc un regard interrogateur, presque décontenancé, sur le mystère de la société israélienne et les deux pôles qui portent ses habitants : la modernité, d’une part,  les traditions juives, de l’autre. Comme dans I Am Josh Polonski’s Brother, Nadjari filme dans Tehilim les gestes rituels du repas de shabbat avec une attention presque policière. Sa caméra scrute les ustensiles, la fabrication des pains, le lavage des mains. Ce qui choque dans cette scène, c’est la trivialité des outils du rituel sacré : une cruche en verre mal dégrossi, un verre de vin rituel en gré, rempli pour moitié avec de l’eau et qui déborde. C’est le rituel des petite gens. Ces plans silencieux expriment tout autant une proximité avec ce rite religieux et familial, qu’une incompréhension hébétée d’une vie de tous les jours  israélienne toute pénétrée de sacré, de psaumes.

 

Rachel Knaebel

 

Film français – 1h36 – Sortie le 30 mai 2007

Avec Michael Mushonov, Limor Goldstein, Shumel Vilojni, Ilan Dar,Yohav Hayit, Reut Lev...