Deux
sœurs de Kim
Jee Woon

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Dans une pièce blanche, meublée d’un bureau et deux
chaises, un docteur en blouse blanche interroge
doucement et patiemment une jeune femme prostrée,
cachant son visage derrière une frange de cheveux noirs :
Que s’est-il passé ? Et c’est bien là la
question récurrente posée par ce film venu de la Corée
du Sud, un pays à la production de plus en plus
importante et de qualité.
Oui, que s’est-il passé dans cette grande maison isolée,
où deux jeunes sœurs Su-mi et Su-yeon reviennent avec
leur père ? Elles y sont accueillies sèchement
par leur belle-mère qui ne semble pas beaucoup les
porter dans son cœur. Très vite, un climat oppressant
s’installe entre elles trois, nullement tempéré par
un père silencieux et impartial, presque ennuyé. Des
choses bizarres se passent dans cette maison sombre aux
boiseries foncées qui offre un contraste détonnant
avec la campagne environnante, lumineuse et haute en
couleurs. On apprend aussi rapidement qu’un fantôme
dont on dira rien de plus ici hante les murs de la
grande maison. Ou l’esprit un peu embrouillé d’une
des deux sœurs ?
Nous sommes dans le fantastique et ce n’est donc pas
sans raison que le film a reçu à Gérardmer cette année
le Grand Prix du festival. Deux sœurs utilise
tous les ingrédients inhérents à ce genre : unité
de lieu où chaque meuble, chaque pièce finissent par
posséder un aspect étrange et inquiétant. Malgré une
absence quasi complète de musique qui soulignerait ses
effets, le film utilise beaucoup les ressorts proposés
par les bruits (joli travail sur le bruissement des
tissus) et les éléments de la décoration intérieure
(quand les motifs de tapisseries deviennent anxiogènes).
Difficile ici de ne pas penser au Shining de Kubrick.
On
est donc aisément envoûtés et plus d’une fois le
film file des frissons dans le dos. La mise en scène
est impeccable, la direction d’acteurs,
essentiellement des femmes, formidable. Il faut saluer
la performance de ces actrices au visage changeant,
capable d’exprimer une belle palette de sentiments.
Avec une mention spéciale à la belle-mère machiavélique,
tout à tout hystérique et abattue, dominante et possédée.
Le seul bémol sérieux à apporter au film, c’est son
côté compliqué et alambiqué à souhait, surtout dans
la dernière partie qui en rajoute à foison, laissant
le spectateur sur sa faim, d’autant plus que Kim
Jee-woon se refuse à nous livrer plus de clefs.
Certes, c’est aussi la coutume de ce type de films :
laisser suffisamment de portes ouvertes pour que
l’imaginaire puisse agir tout à loisir. Admettons,
mais reconnaissons que pas mal de choses peuvent nous échapper,
sentiment probablement accru par la ressemblance
frappante entre certaines actrices.
Si
l’on veut bien se défaire de notre esprit cartésien,
alors on peut effectivement prendre beaucoup de plaisir
à ce film fichtrement bien mis en scène, efficace et
haletant et qui vient s’ajouter à la liste déjà
impressionnante des films fantastiques. Aux deux sens du
terme.
Patrick
Corée
- 1h59 - sorti le 16 juin 2004
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