cinéma

Très bien, merci de Emmanuelle Cuau

[4.0]

 

 

L’actualité constitue parfois un drôle de prisme à travers lequel envisager l’appréciation d’un film. Sorti en pleine dernière ligne droite de la campagne présidentielle, Très bien, merci s’inscrit comme trop rarement en France dans son époque dont il dresse un portrait crispé, frileux et terrifiant au final. L’idée du film est venue à Emmanuelle Cuau par l’observation des comportements de ses contemporains et se forge autour de deux questions maîtresses : quand chacun est dans son droit, que se passe-t-il ? et qu’est-ce que la normalité ?

 

Comptable un poil angoissé ou perfectionniste – il revient dans son appartement ou son bureau juste après l’avoir quitté – Alex est certain de son bon droit, d’abord lorsqu’il allume une cigarette juste à la sortie du métro, ensuite lorsqu’il regarde d’on œil curieux un contrôle d’identité sur un trottoir, provoquant sa propre arrestation par des policiers soudain agressifs et peu disposés à être observés dans l’exercice ô combien peu glorieux de leur métier. Après une nuit en garde à vue dans des conditions humiliantes, Alex, persuadé à juste titre d’avoir ses raisons et d’être accusé d’une faute inexistante, refuse de quitter le bureau de police pour pouvoir obtenir des explications d’un commissaire qui semble faire défaut. Irrités par cette persévérance suspecte, les policiers transfèrent Alex dans un hôpital psychiatrique duquel sa femme Béatrice, abasourdie par la mésaventure de son mari, tente de l’extirper.

Entre-temps, Alex perd son boulot et sa sortie de la clinique va coïncider avec son projet nécessaire d’entrer à nouveau dans la vie active.

 

A travers l’histoire d’un couple tout à fait quelconque – le film n’est pas une histoire d’amour à proprement parler -, Emmanuelle Cuau dresse le tableau d’une société moderne passablement malade et désorientée dans laquelle chacun se bat pour sauver les apparences, donner le change en s’arc-boutant notamment sur ses petites prérogatives, ses infimes pouvoirs qui lui donnent l’impression fictive de son bon droit, tout en désamorçant une pression sociale de plus en plus insupportable.

Les premiers concernés sont ici les forces de l’ordre dont on espère à part soi ne jamais avoir à tomber entre leurs pattes. Mais, ensuite du côté des personnels soignants, le constat n’est guère plus réjouissant : soit, on n’a pas le temps, soit on vous assène un « Votre mari a besoin de soins ; je ne peux pas vous en dire plus ». Nous sommes là dans l’arbitraire absolu qui autorise l’arrestation et l’hospitalisation d’un homme au seul motif de son existence et de sa situation de spectateur désireux de comprendre comment et pourquoi agît l’autre. Alex donc comme cousin lointain de Joseph K, héros du Procès de Kafka, même si la trajectoire du premier n’a rien d’irrémédiable ni d’irréversible. D’autres personnages secondaires viennent soutenir l’intention de la réalisatrice : ces employeurs ou ces recruteurs aux questions hallucinantes et vides de sens ou encore les clients de Béatrice, chauffeuse de taxi, réceptacle à son corps défendant de leurs souffrances, de leurs névroses ou de leurs dérèglements.

 

Sur un tel sujet, Très bien, merci aurait pu être pesant mais heureusement Emmanuelle Cuau, déjà remarquée il y a douze ans avec Circuit Carole, a choisi d’y instiller un humour à froid franchement décoiffant, issu entre autres de l’absurdité croissante de l’engrenage dans lequel se débat Alex. La scène de préparation aux entretiens d’embauche doublés en anglais par Béatrice est cocasse, comme les réactions étonnées et pleines de bon sens de Béatrice face aux autorités médicales.

 

En se concentrant sur quelques phénomènes illustrant le dysfonctionnement généralisé, Emmanuelle Cuau montre en quoi l’excès de lois et de normes doublé d’une multiplication des limites en tous domaines ne fait que le renforcer. Malgré l’humour qui pointe finement, Très bien, merci , film politique et dégraissé de toute lourdeur et de tout sentimentalisme, n’édulcore en rien la colère sous-jacente d’une jeune cinéaste, citoyenne aigre-douce, dont la fin qu’elle imprime à son film laisse parfaitement entendre son absence d’illusions et de naïveté.

 

Patrick Braganti

 

Comédie dramatique française – 1 h 40 – Sortie le 25 Avril 2007

Avec Gilbert Melki, Sandrine Kiberlain, Olivier Cruveiller