roman

Julien Bouissoux - Juste avant la frontière  

Editions de l'olivier - 160 p, 16€ - 2004

 

   

    « Oublié le mois de décembre il y a quatre ans, oubliée la fille en bikini bleu et rouge, aujourd’hui c’est le mois de juin et je m’en vais ».

C’est juste avant la frontière, sur cette ligne immatérielle où tout peut basculer, dans une atmosphère de départ qu’on rencontre Samuel Elliot, le narrateur du troisième roman de Julien Bouissoux. Sam quitte une ville jamais nommée mais qu’on imagine au Nord, Budapest certainement, avec ses bains brûlants et glacés et ses hivers sous la neige. Ce moment d’arrachement au passé, où tout devrait aller vite, Julien Bouissoux décide justement de s’y attarder en s’attachant aux pas nonchalants et graves de son (anti) héros.

 

    Juste avant la frontière raconte le dernier jour de Sam dans cette ville où il était venu travailler il y a quatre ans de cela.. Avant de prendre l’avion qui le ramènera à Paris, il se souvient : les rencontres amoureuses, intenses ou furtives, l’étrangeté de la vie en entreprise, la beauté inédite des endroits découverts… A l’heure de partir, tout lui semble appartenir à un passé révolu ; les rues, les immeubles, ici, tout lui paraît brutalement démodé.

Pas encore parti, il se sent déjà étranger en ce lieu. Pas de tristesse, aucune émotion autre que sensuelle ou sexuelle, il évolue dans la cité, anesthésié par ce départ imminent. De filles en filles, Sam a erré dans sa vie, comme absent à sa propre existence, spectateur un peu indifférent, souvent perplexe de la comédie sociale comme de lui-même dans tout ça. L’absence, c’est quelque chose qu’il connaît bien. Souvent il a l’impression de n’être pas vraiment là, présent au monde. Il croise des passants dans la rue qui le saluent peut-être mais à qui il ne répond pas : « Je reste de marbre. Mon projet est de disparaître ».

Il se dit souvent que « certains personnages de fiction sont plus en vie » que lui. Ici, ou plus tard à Paris, son existence lui paraît de toute façon vide de sens.

Il n’est d’ailleurs pas vraiment impatient de regagner la capitale où personne ne semble l’attendre. De toute façon « si l’ambition de Paris est de rayonner même quand il fait nuit, personnellement, son projet est plutôt de disparaître ». Encore.

Alors il organise consciencieusement son départ comme une disparition effective : quelle trace aura-t-il laissé dans ce pays ? Dans la mémoire des filles qu’il aura aimées (« mais est-ce qu’on est obligé d’aimer, toujours ? »), dans celle de ses collègues ? Dans cet appartement qu’il laisse vierge de sa présence, net comme le sable d’une plage quand la vague se retire ? Dans son ancien bureau à l’odeur de caramel ?

Sam se soucie de tout cela. Et en même temps seule une chose lui importe : « je voudrais qu’on m’oublie, comme homme, comme consommateur, comme citoyen, comme être humain : qu’on m’oublie. »

Pleinement vivant et pas vraiment là, attentif et détaché, Sam existe, volcan camouflé dans le paysage.

Après Fruit rouge et La Chute du sac en plastique, Julien Bouissoux confirme ici son talent pour évoquer l’indicible, le malaise sans nom, l’envie de vivre pleinement et la lucidité de la perplexité d’être au monde.

 

    Texte pudique et doucement violent, où le sexe a une place aussi centrale que le questionnement intérieur, Juste avant la frontière est un livre attachant qui continue d’exister en soi, la dernière page tournée. Un livre avec des phrases soulignées, qu’on a envie de faire siennes. Un livre qui accompagne.

 

Christelle Mata

 

En librairie le 27 août 2004

 

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