roman

Karine Reysset - En douce    

Editions Du Rouergue - 128 p, 9€ - 2004

 

 

 

    "Et puis il est mort brutalement. Mon portable a sonné sur la terrasse il y a deux ans, nous avons dû rentrer à Paris précipitamment." Il suffit parfois de deux phrases. Deux phrases qui n’ont qu’une importance secondaire dans l’intrigue mais voilà. Leur laconisme, leur perfection qui rappelle les ellipses de Richard Brautigan font qu’on les a élues, fort de la subjectivité imprescriptible du lecteur. Deux phrases comme la métonymie d’un roman dont le charme entêtant tient beaucoup à cette écriture sans fioriture, tenue, qui permet de se jouer des ornières dans lesquelles une telle intrigue eut vite fait de verser. Juliette vit à Paris avec Eric (que l’on suppose être écrivain) et leur fille Manon, un nourrisson à peine sevré. C’est la fin de l’hiver et elle décide de prendre la fuite. Sans un mot, sans un cri, elle prend le train et sa fille pour gagner la maison de son enfance. Elle doit se retrouver seule face à la mer. Pour se calmer, prendre du recul, se réconcilier avec ce corps encore marqué par la maternité. « Etre ici me suffit, me remplit, remplit le vide, le manque d’eau de sel de lumière. Je respire à nouveau. Il y a la lumière de l’eau de l’air. Du ciel de la mer. Je ferme les yeux . »

Vertige de se rendre compte que la vie est possible sans l’autre. Ivresse de l’amour maternel, que Karine Reysset excelle à faire partager sans jamais sombrer dans la niaiserie larmoyante. Comme dans L’inattendue, son roman précédent qui relatait une grossesse, la relation fusionnelle qui lit la narratrice à l’enfant est évoquée avec une confondante justesse. « Je lui embrasse les cheveux, leur parfum de mûre sauvage et de caramel un peu salé (les larmes sans doute). Elle se calme. »  Et puis il y a Sarah, cette irlandaise fascinante qui voyage au gré de ses envies. Juliette ne sait pas si elle l’aime ou non et se pose d’ailleurs à peine la question. Mais elle est attirée par sa liberté, par son corps magnifique (une relation homosexuelle s’ébauche entre les deux jeunes femmes), par la confiance qu’elle lui redonne. La vie de Juliette semblait déjà vécue : un compagnon, un enfant, un métier, des réponses pour chaque moment… L’impulsion qui l’a fait fuir lui a donné un élan que Sarah entretient. Les deux femmes vont faire un bout de chemin ensemble, « juste faire un bout de chemin ». Sans autre projet que celui de suivre la mer. Le livre s’achève sur des vers de Bashung : « A l’avenir, laisser le vent du soir décider. Laisser venir l’imprudence ». Avec sa discrétion, son refus de l’hystérie des grands gestes comme des paroles définitives, En douce est une invitation têtue à la liberté.

 

Jean-Christophe Planche

 

 

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extraits du livre et biographie de Karine Reysset