« L’inventaire des rêves » de Chimamanda Ngozi Adichie : ces rêves qui nous portent et ces liens qui nous unissent

Dix longues années après le très réussi Americanah, Chimamanda Ngozi Adichie renoue avec le genre romanesque. À travers les aventures de quatre femmes évoluant entre l’Afrique de l’Ouest et les Etats‑Unis, l’autrice nous raconte une histoire universelle sur la sororité et le féminisme.

Chimamanda Ngozi Adichie
Photo © Manny Jefferson / Editions Gallimard

Il aura fallu attendre dix ans pour que Chimamanda Ngozi Adichie parvienne à reprendre la plume pour écrire une fiction. Elle n’a pas honte de le dire, après l’énorme succès de Americanah, l’autrice a été frappée du syndrome de la page blanche. Entre temps, elle ne s’est pas tourné les pouces, bien au contraire. Elle a écrit des essais sur la cause féministe, sur le deuil. Et c’est d’ailleurs la perte de sa mère, peu de temps après celle de son père, qui a rallumé l’étincelle du roman.

Linventaire des revesLa vie de l’autrice, qui détient désormais la double nationalité nigériane et américaine, oscille entre son pays de naissance et les Etats-Unis, tout comme trois de ses héroïnes. Cette double culture oblige à des circonvolutions, à des arrangements pour se plier aux traditions familiales africaines tout en essayant de correspondre aux injonctions de la société nord-américaine. Ajoutons à cela les rêves inavoués de carrière et d’indépendance, les aspirations de carrières et de vies de femme accomplies, les non-dits du couple : l’équation devient insoluble.

En plus de la sororité qui ressort de chaque page de ce livre, il est aussi beaucoup question de maternité et l’importance que chacune des héroïnes y accordent. S’agit-il d’un accomplissement en soi ou bien d’une réponse à l’attente que placent en elles leurs entourages respectifs ?

Chacune des quatre héroïnes, Chiamanka, Zikora, Kadiatou et Omelogor, se raconte dans une partie qui lui est dédiée et qui permet de découvrir les relations qu’elle entretient avec les autres.

Et c’est là tout le talent de Chimamanda Ngozi Adichie : malgré ces parties distinctes, sans jamais perdre le lecteur, elle construit une véritable histoire dans laquelle ses personnages évoluent et se retrouvent à la fin.

Au travers de ce récit entremêlé, l’autrice aborde une multitude de sujets qui poussent à la réflexion : elle questionne, met en doute, bouscule, accuse, pardonne et console.

Elle questionne la place de la femme noire aux Etats-Unis, elle bouscule l’image qu’ont les Américains de l’Afrique, elle accuse le patriarcat qui règne encore dans nos sociétés, elle console les femmes qui ont des rêves bien plus grands que ce que la vie pourrait leur offrir et les encourage à les poursuivre.

Le roman s’ouvre d’ailleurs sur la réflexion de Chiamanka, une des héroïnes qui ne parvient pas à trouver l’âme sœur : « J’ai toujours rêvé d’être connue, telle que je suis vraiment, par un autre être humain ».

Au-delà du couple, cette phrase résonne aussi dans toutes les relations que nous entretenons. Qui nous connaît vraiment ? Les parents connaissent leurs enfants, mais connaissent-ils vraiment les adultes qu’ils sont devenus ? Les collègues de travail n’entrevoient que la part que l’on veut bien montrer dans un milieu où les rapports de force sont rois.

L’un des personnages le plus touchants de ce roman est certainement Kadiatou. L’autrice s’est largement inspirée de Nafissatou Diallo, la femme de chambre du Sofitel mondialement connue pour avoir accusé Dominique Strauss-Kahn de viol. Prise dans une spirale médiatique infernale face à un homme puissant, tout le monde en a oublié qu’il s’agissait d’une femme à la vie jusqu’alors très simple, qui avait ses rêves et ses failles.

Ce roman choral est riche par ses questionnements. Le regard de Chimamanda Ngozi Adichie sur notre société contemporaine est perspicace et laisse une empreinte durable sur le lecteur, telle des petites graines semées dans notre esprit occidental.

Caroline Martin

L’inventaire des rêves
Roman de Chimamanda Ngozi Adichie
Editeur : Gallimard
656 pages, 26 euros
Date de parution : 1er mars 2025

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