Au cœur de nombreuses polémiques sur sa personnalité et fort d’albums récents ratés, Mark Kozelek fait passer sa tournée européenne par Montreuil. Une soirée pour le moins risquée qui a tenu toutes ses promesses…
Tout saut une évidence. Quand Mark Kozelek a annoncé que la tournée européenne de Sun Kil Moon passerait par la France, la décision de prendre ou non sa place n’a pas été facile à prendre.
D’un côté Kozelek est l’auteur de disques mémorables sur une période de plus de 20 ans. Entre le premier album des Red House Painters en 1992 et le Universal Themes de Sun Kil Moon en 2015, il n’y a pas grand-chose à critiquer dans sa discographie, avec Ghosts of the great highway en chef d’œuvre absolu en 2003. Durant cette période, Kozelek avait toute sa place au panthéon de nos songwriters préférés, aux côtés de Jason Molina et ses Songs:Ohia, Mark Linkous et ses Sparklehorse, Mark Eitzel avec ou sans American Music Club, et bien sûr les différentes incarnations de Will Oldham.
De l’autre, ce qui s’est passé justement depuis 2014. Musicalement, des disques atroces comme This is my dinner en 2018 ou Lunch in the park en 2021 lui ont fait perdre une cohorte de vieux fans effarés, fatigués de ses longs prêches en spoken word et l’absence de mélodies de ses nouveaux morceaux. Aucune envie de se taper les 13 minutes de Full of life en concert…Kozelek aime beaucoup parler de lui, de ce qui se passe dans sa vie quotidienne, et pense que le monde entier devrait trouver ça intéressant. Dans les 13 minutes (encore) de Soap for Joyful Hands, il nous explique par exemple qu’il aime les chaussettes et comment il les nettoie dans une chambre d’hôtel.
Et bien sûr, il y a le reste : Des accusations de harcèlement sexuels, une journaliste du Guardian insultée sur scène, des échanges d’insultes encore avec Adam Granduciel (le fameux War on Drugs suck my cock) et une attitude très limite en concert avec les fans dont il n’aime pas l’attitude (ils parlent, ces idiots, au lieu de m’écouter). Bref, un type autocentré et pas très recommandable, sauvé auprès de certains par la déconnection vie/œuvre, mais que cette dernière en chute libre n’arrive plus à compenser.
En apprenant que Kozelek se produit dorénavant en solo, que les concerts peuvent durer 3 heures et que toute photo ou vidéo est interdite sous peine de plein de sévices, c’est donc à vous amis lecteurs, que nous pensons, à vous avides de connaitre la vérité du moment sur son état de santé mental et musical. Dirigeons-nous donc vers cette superbe Marbrerie, salle que nous apprécions énormément.
Un mot sur le public : globalement la quarantaine, très cosmopolite (il vaut mieux, c’est clair, maitriser l’anglais dans ce genre de soirée, de peur de vivre des moments très très longs…) et visiblement fan depuis longtemps. La salle est bien garnie, pari gagné de ce côté.
Mark Kozelek arrive sur scène à 20h15, accompagné au piano par Ben, du groupe hongrois Amoeba, avec lequel il a enregistré un album et visiblement partagé pas mal d’expériences, si l’on en croit les anecdotes distillées au cours de la soirée. Une pensée pour Ben, dont le piano a un joli son et qui doit vivre une tournée pour le moins marquante, tout seul avec son énergumène de patron. Tout de suite il grogne et demande que la légère fumée présente sur scène soit enlevée, il déteste ça. Tout le monde comprend que c’est un deal breaker, et que si nous voulons entendre des chansons, il faudrait obtempérer, ce qui va être chose faite rapidement.
Le set démarre avec I Watched the Movie the Song Remains the Same (oui c’est le titre), extrait de Benji. C’est un choix intéressant dans la mesure où cet album a marqué une rupture dans la carrière de Kozelek, le moment où il commence à délaisser les compositions classiques pour aller vers… autre chose. On y trouve sa passion pour le name dropping et le classic rock, le texte mentionnant Jimmy Page, John Paul Jones, John Bonham et Peter Grant (il n’aime pas Robert Plant à priori), la mélancolie qui l’envahit en revoyant le film plusieurs années après sa découverte avec ses potes et qui l’accompagne tout le temps. Il rend aussi hommage à son ami, Ivo Russel-Watts qui a signé les Red House Painters en 1992 pour 4AD et qu’il va revoir bientôt après un hiatus de 15 ans :
He’s the man who signed me back in ’92
And I’m going to go there and tell him face to face,
« Thank you. »
For discovering my talent so early
For helping me along in this beautiful musical world
I was meant to be in
La voix est puissante, c’est un bon début. Mais déjà un doute : il se lance dès la fin du morceau dans une tirade anti Complete Unknown, on ne sait pas pourquoi. En gros Chalamet est un imposteur, le film est une merde, et lui comme Dylan sont appréciés des femmes blanches (répété 3 fois, il y tient) d’où le succès du film. On sent bien que les quelques rires dans la salle sont une grave erreur. De grâce, ne l’encouragez sur cette voie. Et de fait, ce diatribe anti Dylan va donner lieu 90 minutes plus tard à une improvisation interminable sur l’air de The Times They Are A Changin pour bien montrer que n’importe qui peut écrire ce truc, et que, décidemment, à la guitare ce Dylan il est nul.
Sur le coup nous considérons cela comme un droit à l’erreur, et il continue avec deux joyaux, Carry Me Ohio et Heron Blue, extraits respectivement de Ghost of the Great Highway et April, deux titres qui n’ont rien à envier aux meilleurs morceaux des Red House Painters. Un groupe au complet manque évidemment, mais la restitution de ces deux classiques à elle seule vaut le déplacement, symbole d’un temps où Kozelek s’intéressait encore au côté musical de ses compositions.
Sur Hungarian Lullaby, on note la jolie partition de Ben, le morceau est sympa. Et puis vient le sketch de la serviette. Mark a chaud, il lui faut sa serviette qui ne vient pas, est réclamée et vient enfin. Pourquoi ne pas faire monter sur scène le pauvre bougre qui lui tend et demander au public à qui il ressemble ? Passons sur ce moment embarrassant, il s’est épongé tout va bien.
Et puis vient Wolves, le nouveau morceau, partagé depuis peu sur les réseaux sociaux, et qui nous avait bien fatigué à sa première et seule écoute. En gros, il a trouvé un studio dans les montagnes, il veut enregistrer avec son groupe, et il y a des loups dehors. Joli prétexte pour aboyer et hurler tous ensemble non ? Et si nous le faisions tous, hein que ca serait une bonne idée pour créer un effet de meute ? Et donc voila notre Marbrerie transformée en animalerie, avec les premières remarques acerbes qui fusent autour de nous. Oui, je confirme : c’est possible que ce soit le concert le plus bizarre de l’année.
Ce moment de sidération est suivi par une reprise de Show Me des Pretenders, sans aucune anecdote l’expliquant, ce qui est décevant. La chanson est superbe bien sûr, la restitution fidèle, mais Chrissie nous manque terriblement. Enchainons donc rapidement sur Dogs, dont les premières notes sont acclamées. Ce titre est une énumération des conquêtes féminines de Kozelek, du premier baiser jusqu’à Deborah, larguée car pas assez intelligente, en passant par Mary Anne (my first fuck, classe !) dont nous apprenons le talent particulier que nous ne dévoilerons pas ici. Pourquoi ce titre, Dogs ? Il a offert Animals de Pink Floyd à Patricia, et ils écoutaient Dogs au moment où il a pu aller down there. Nous commençons à nous énerver sérieusement…
C’est évidemment le moment choisi pour rendre un hommage appuyé à Elliott Smith, que nous allons avoir du mal à critiquer. Accompagné d’une seule note de guitare, Kozelek témoigne d’une tournée commune avec lui et de la première partie qu’il a faite. La description de Smith, lumineux sur scène et complètement paumé en dehors, est poignante, et nous réconcilie un temps avec l’instant présent. Kozelek ne se remet pas de ne pas avoir salué son héros, qui devait se suicider trois ans plus tard sans qu’il ne le revoie. Pendant ces 10 minutes, il a eu toute notre attention, et nous nous promettons de réécouter Either/Or en rentrant
Comment saborder ses meilleurs moments ? Je vais passer sur les détails, mais reconnaissons que la description de sa constipation de Budapest, de ses laxatifs et de la nuit suivante a du mal à nous faire rire. C’est plus rigolo dans Dumb & Dumber. Ben rigole, il est poli, et a visiblement participé à la scène le pauvre (il a l’air sympa ce gars, on aimerait bien parler avec lui, lui dire qu’il nous fait bonne impression, et qu’on le soutient)
Dilemme à ce stade, ça ne se fait pas de partir quand on a un live report à écrire, et qu’on est un rédacteur récent mais bon… et si, et si, on ne sait jamais, on cherche les raisons de rester. Il nous les donne rapidement. Il n’y a que lui pour enchainer un peu de scatologie avec Katy Song, cette merveille absolue datant de 1993 que nous avons tant écoutée et adorée, notre titre préféré des Red House Painters qui fait remonter tant de souvenirs d’un coup. La fin de concert sera-t-elle dingue ? On y croit avec la jolie Harper Road, deuxième extrait d’April ce soir, sensé être le dernier morceau.
Ils ont loupé le coche à la Marbrerie, il les interroge, est-ce l’heure du couvre-feu ? « We still have time », qu’il dit. Aïe ! Danger ! Quoi de mieux que 10 minutes de spoken word pour finir ? Fairytale Sunday, Sunday Fairytale que ça s’appelle. Une histoire d’une rencontre à Budapest avec une femme à qui il offre son dernier CD en lui disant qu’elle peut l’écouter ou l’utiliser comme elle voudra. L’histoire est banale, mais plutôt attendrissante. Le véritable Kozelek semble nous apparaitre. Quelqu’un de totalement « insecure », fatigué (il le répète souvent et en donne les signes) mais qui est heureux d’avoir eu cette interaction sociale, et heureux de témoigner d’un moment qu’il a apprécié. Bien sûr, pour nous, fans de rock c’est plus que frustrant, il n’y a plus du tout de musique dans sa démarche. Comme l’indiquent les nombreuses références à des écrivains (il lit Joan Didion actuellement), Mark Kozelek aimerait être reconnu comme un écrivain, écrire des nouvelles sur sa vie. Probablement conscient de ses limites en la matière, il préfère utiliser l’art sensé être mineur de ses compositions pour pouvoir écrire ses histoires avec moins de pression.
Au bout des 2h30 promis, nous sommes assurément sonnés. Pour sûr, ce n’était pas un concert comme les autres, ça va faire drôle d’enchainer avec Stereophonics !
Texte : Laurent Fegly
Pas de photograhies autorisées