« Satie » : une biographie romancée et impertinente signée Patrick Roegiers

Patrick Roegiers nous raconte ici le Satie extravagant, maniaque, et plein d’humour que l’on connaît. Et un autre Satie profondément mélancolique, enfermé dans sa solitude. Il peint surtout un génie singulier qui connut de son vivant un succès de scandale, un artiste « de son temps, en avance sur son temps et hors du temps ».

P.ROEGIERS-2025
© JF PAGA

Y a-t-il plus réjouissante manière de rendre hommage à Erik Satie l’année du centième anniversaire de sa mort que cette virevoltante biographie que lui consacre Patrick Roegiers ? Un drôle de type pour une drôle de musique, disait-on de Satie. Né à Honfleur, il remplaça très tôt le C de son prénom par un K, histoire de faire comprendre qu’il était un cas particulier. Connu pour ses excentricités – il n’ouvrait jamais son courrier, ne mangeait que des aliments blancs, accumulait costumes, chapeaux et parapluies dans le galetas montmartrois qui lui servait de logement et ne se lavait qu’avec une pierre-ponce – Satie, « austère et infrivole », passait pour un misanthrope : on ne lui connaît qu’une seule relation amoureuse – et encore ne dura-t-elle que six mois – et ce fut avec la volcanique Suzanne Valadon. Et s’il conversait volontiers avec Alphonse Allais, un Honfleurois aussi caustique que lui, s’il fréquentait nombre de ses contemporains peintres – Picasso, Picabia, Braque – ou musiciens – Auric, Debussy, Ravel – il se montrait tellement intransigeant en amitié qu’il en venait à faire le vide autour de lui, s’enfermant, selon sa propre expression, dans « une solitude glaciale ».

Satie - Patrick RoegiersLa musique de Satie, nous dit Patrick Roegiers, est à l’image de l’homme : surprenante, impertinente et bouleversante.. Dans La Vie de famille déjà, l’auteur se confiait sur les sentiments qu’elle lui inspirait : « ses mélopées suspendues, atones et mélancoliques m’émeuvent au-delà de tout. ». Satie fut un compositeur précoce : à 20 ans, il écrivit Ogives et, deux ans plus tard, ses trois Gymnopédies pour piano qui le firent connaître d’un petit cercle d’initiés. Une musique dépouillée à l’extrême, « blanche et diaphane, comme en suspension ». Suivront les six Gnossiennes, les Trois morceaux en forme de poire, puis les Véritables préludes flasques (pour un chien), autant d’oeuvres dont les titres – et les indications de jeu – constituent tout une programme. Mais ce qui fit vraiment la renommée de Satie, ce fut en 1917 le scandale provoqué par la musique débridée qu’il composa pour Parade de Cocteau, puis, en 1924, pour Relâche, le ballet surréaliste de Picabia. Satie divisait de son vivant et il divise encore. Largement incompris à son époque, il ne fit pas non plus l’unanimité plus tard : on se souvient des mots de Boulez qui le jugeait « indigent techniquement » et ne lui reconnaissait qu' »un talent mineur ».

L’écriture de Patrick Roegiers, pleine d’allant, de fantaisie et d’humour, aurait pu être celle de Satie. Elle nous transporte d’emblée dans son univers et reflète la profonde compréhension et la réelle sympathie de l’auteur et pour l’homme et pour le compositeur – un homme fragile et un compositeur de génie. Loin de s’arrêter à l’image du personnage fantasque qu’il offrait au monde et qui est passée à la postérité, Roegiers montre en effet comment l’intelligence hors du commun de Satie allait de pair avec une sensiblilté exacerbée qui le poussait à refuser toute relation affective par peur de souffrir, le condamnant ainsi à la solitude. Une vie personnelle ratée mais une œuvre exceptionnelle, celle d’un précurseur. Avec Vexations, son ultime création, une phrase musicale d’une minute à reprendre huit cent quarante fois, Satie ouvre la voie à tous ces grands compositeurs que Roegiers imagine se succédant autour de son lit de mort, parmi lesquels John Cage, le maître du silence, et Philip Glass, celui du minimalisme. On n’a pas fini d’épuiser le génie musical de Satie, une figure « de son temps, en avance sur son temps et hors du temps », amateur de bons mots comme autant de pieds de nez au conformisme ambiant : « Je préfère la musique que j’aime à celle que je n’aime pas. »

Anne Randon

Satie
Roman biographique de Patrick Roegiers
Éditions Grasset
216  pages – 22€
Date de parution : 12 mars 2025

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