« À petit feu » d’Elizabeth Jane Howard : Vous reprendrez bien un verre de brandy, darling ?

Le nouveau roman d’Elizabeth Jane Howard nous plonge dans les années 60, en Angleterre : les traditions d’avant-guerre se heurtent à la nouvelle indépendance des femmes et à la jeunesse prise dans le tourbillon du Swinging London.

HOWARD Elizabeth Jane - National Portrait Gallery- London
© National Portrait Gallery- London

Ecrit en 1969, À petit feu est résolument moderne. L’autrice se moque de la prédominance des hommes qui se débattent comme de beaux diables pour conserver leurs privilèges d’avant-guerre sur les femmes. C’est sans compter sur l’indépendance qu’elles ont acquise depuis le conflit mondial et qu’elles ont bien l’intention de conserver et de transmettre à la génération suivante.

a-petit-feuLa plume mordante d’Elizabeth Jane Howard égratigne tout en finesse la société traditionnelle anglaise. Les dialogues et les traits de caractère dépeints de manière comique de certains personnages donnent le ton d’un roman à l’humour so british.

Le récit s’ouvre sur le mariage d’Alice, fille du colonel Herbert Browne-Lacey. « Adjugé, vendu ! », voilà ce qui traverse l’esprit de la jeune mariée quand Leslie lui passe la bague au doigt. Entourée de son père, image de la vieille garde impérialiste, pingre et autoritaire, de sa belle-mère May (déjà la deuxième depuis le décès de sa mère) et des enfants de cette dernière, Oliver et Elizabeth, elle se réjouit d’échapper au joug paternel tout en redoutant la vie conjugale.

De chapitre en chapitre, le lecteur découvre la vie plutôt désœuvrée de ces anglais privilégiés. La jeunesse noie son inactivité dans des soirées alcoolisées à Londres, en les finançant avec un argent qu’elle ne possède pas. Les parents se morfondent dans des demeures inadaptées à la vie moderne.

D’ailleurs, May, la femme du colonel, regrette amèrement d’avoir cédé à son mari fauché et radin en investissant une grande partie de son héritage dans une maison qu’elle déteste, isolée dans la campagne anglaise. Ayant quand même un peu de jugeotte, elle réfléchit à l’avenir de ses enfants et à ce qu’elle leur lèguera à son tour, alors que son filou de mari envisage sereinement sa vieillesse, en vieux briscard qu’il est.

Dans le même temps, tandis qu’Alice découvre les affres de la vie de couple à Bristol, loin de la félicité qu’elle imaginait, Oliver et Elizabeth partagent appartement et bon temps à Londres. Ayant suivi les cours de l’école des arts ménagers, comme se doit toute jeune fille de la bonne société, Elizabeth offre ses services à des couples riches et nullissimes en cuisine pour arrondir les fins de mois et financer les soirées. Son frère Oliver, jeune diplômé d’Oxford, ne sait quoi faire de sa vie et végète entre petits boulots et activité de pique-assiette.

Ne dévoilons rien de plus pour laisser le plaisir aux futurs lecteurs de découvrir l’intrigue qui pourrait être résumée par le détournement du titre d’un célèbre film : « Trois mariages et deux enterrements » !

Elizabeth Jane Howard a traversé le vingtième siècle (1923 – 2014) et a connu la postérité sur le tard, vers ses soixante-dix ans, grâce aux célèbres Cazalet chronicles. Les cinq tomes ont été publiés en France ces dernières années sous le titre de la Saga des Cazalet et ont rencontré un franc succès bien mérité pour qui aime le tea time et l’esprit anglais.

Si À petit feu est bien antérieur à la fabuleuse saga, on y décèle déjà les prémices de ce qui composera l’œuvre majeure de l’autrice anglaise et ses thèmes de prédilection. Elizabeth Jane Howard dispose d’un talent certain pour dépeindre la vie domestique et ses travers, en lien avec une société en pleine mutation. Ses prises de position sont féministes et très avant-gardistes.

Caroline Martin

À petit feu
Roman d’Elizabeth Jane Howard
Editeur : Editions de la Table ronde – Quai Voltaire
336 pages, 23 euros
Date de parution : 8 mai 2025