« Taxi de nuit » de Jack Clark : chronique urbaine hyper réaliste

Avez-vous déjà lu un livre écrit par un chauffeur de taxi ? Voici les mémoires de l’un d’entre eux, exerçant à Chicago. Une prose au ras du bitume qui peut rappeler celle de Bukowski.

 Jack Clark
© DR éditions Sonatine

L’américain Jack Clark (né en 1949) fut longtemps taxi de nuit à Chicago.
Et ce n’est pas une blague : ses premiers écrits, il les vendait directement à ses plus fidèles passagers avant d’attirer l’attention d’un éditeur !
Taxi de nuit est son premier bouquin traduit en français, mais il date de 1996.

Edwin Miles, dit Eddie, est taxi pour la compagnie Sky Blue. Il travaille de nuit et c’est son partenaire qui prend la voiture pour la journée.
Le soir, Eddie charge, roule, dépose, et sillonne la ville aux côtés des taxis des autres compagnies, Yellow, Checker ou Flash.
Mais ni les rues sombres ni les cités pauvres de Chicago ne sont vraiment sûres.
On parle même d’un mystérieux tueur en série qui s’en prend aux chauffeurs de taxi : « trois chauffeurs de taxi de Chicago ont été tués depuis le début de l’année ».
Et c’est l’un des meilleurs amis de Eddie, Lenny, qui sera la prochaine victime : « le meurtre de Lenny avait fait la une des journaux, ils en avaient parlé à la télé, les taxis qui se faisaient braquer étaient sur toutes les lèvres ».
Un soir, Eddie va même sauver une toute jeune femme qu’il découvre dans la lueur de ses phares, sauvagement tailladée au fond d’une ruelle obscure : elle le prend pour un ange de la nuit (le titre en VO était : Nobody’s angel).
Eddie va aider les inspecteurs Hagarty et Foster à mener cette double enquête pour retrouver le meurtrier de la jeune femme (elle n’est pas sa seule victime) et celui des chauffeurs de taxi.
Ah, et puis c’est un bouquin dont on peut dévoiler la dernière page sans risque de spoiler :
« POUR VOTRE SÉCURITÉ PRIÈRE DE DESCENDRE CÔTÉ TROTTOIR UNIQUEMENT » !

C’est une excellente surprise que la découverte de cette chronique urbaine hyper réaliste !
C’est une prose au ras du bitume, minimaliste, factuelle.
Les chapitres sont même ponctués d’extraits du règlement municipal !
« […] Toute discrimination dans la sollicitation, l’acceptation ou la qualité du service fourni aux passagers en raison de leurs origines, de leur genre, de la zone géographique de leur prise en charge ou de leur destination dans la ville de Chicago est strictement interdite.Ville de Chicago,
Département des Services aux consommateurs,
division des véhicules de transport de passagers. »

Et le lecteur commence à se laisse bercer sur la banquette arrière par le refrain monotone du chauffeur de taxi.
« […] Deux dollars quatre-vingts au compteur ; elle m’en a donné trois et m’a dit de garder la monnaie.
[…] Le compteur annonçait quatre dollars quarante quand je me suis garé à côté d’une nuée d’autres taxis. La femme m’a tendu cinq dollars. « Gardez-les », m’a-t-elle dit.
[…] Dix dollars au compteur. Elle m’a donné treize. « Merci beaucoup, j’ai dit en ouvrant la portière. »

Ce style dégraissé jusqu’à l’os, sans fioritures, évoque fortement celui de Charles Bukowski, qui, tout comme Jack Clark ici, mettait en scène un double de lui-même dans ses romans (Hank Chinaski pour Bukowski).
Ces deux écrivains nous apportent la voix de la rue et l’on se souvient qu’avec Bukowski/Chinaski on découvrait les « mémoires d’un vieux dégueulasse » : heureusement le taxi de Clark/Eddie est beaucoup mieux tenu, plus propre … et plus sobre !
Mais l’écriture reste bien la même : des phrases resserrées et lapidaires qui semblent se limiter à relater les événements ordinaires du quotidien, à dépeindre le réalisme cru de la ville.
Ce n’est qu’à force d’une répétition presque lancinante que l’humanité commence à transpirer du récit pour créer une atmosphère unique autour du personnage.

L’intrigue policière tient un peu en haleine le lecteur et n’est ici que le prétexte à parcourir, avec Eddie le taxi, le plan quadrillé de Chicago en long et en large: depuis les quartiers en voie de gentrification jusqu’aux cités à moitié abandonnées comme celle de Cabrini.
« Cabrini-Green. Des barres et des barres de HLM sinistres construites par le gouvernement, entourées de terre battue et de parkings gris jonchés de détritus. Cette cité était le cauchemar des chauffeurs de taxi.
Quand j’étais enfant, des Blancs habitaient là. Mais c’était il y a longtemps. Maintenant, presque tous les habitants étaient noirs, pauvres et au chômage ».

Et la nuit, du côté du West Side, plane toujours le fantôme des émeutes raciales de 66 et 68.
« […] À écouter les chauffeurs, tout était merdique. Ils ne gagnaient jamais d’argent. S’il y avait du soleil, ils se plaignaient parce que les gens marchaient. S’il pleuvait ils geignaient que tout le monde restait chez soi. »
« […] Les femmes de ménage sortaient du travail et se hâtaient vers State Street pour prendre le bus en direction des quartiers sud-ouest. La dernière fois que l’une d’elles était rentrée en taxi, ça devait être en 1947. »

Bruno Ménétrier

Taxi de nuit
Roman de Jack Clark
Traduction de l’anglais (US) de Samuel Fez
Editeur : Sonatine
240 pages – 21 €
Date de parution : 15 mai 2025

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