Ce jeudi, notre chronique Tiens écoute ça ! parle de la version de Lou Reed du September Song de Kurt Weill, où l’ex patron du Velvet, alors en perdition, sort le grand jeu !
Quand un as du rock se frotte à un classique de la comédie musicale, on peut craindre un exercice anecdotique, voire factice. Dans ce genre très prisé par le monde anglosaxon se trouvent des bijoux qui n’ont pas échappé à la convoitise de chanteurs en quête de moments de grâce. Ainsi l’œuvre de Kurt Weill et de Bertholt Brecht est une véritable malle aux trésors. On ne compte plus les reprises de la complainte de Mackie Messer, en anglais Mack the Knife, extrait de l’Opéra de Quat’sous.. Avec son air de décadence de fin du monde, Alabama Song fit le bonheur des Doors et de Bowie, auteur également de Baal’s Hymn, un bel EP de cinq titres enregistrés en 1982 avec des musiciens allemands à Berlin. Rien de nouveau sous le soleil, donc, quand Lou Reed reprend September Song. Un songwriter de ce calibre ne pouvait d’ailleurs passer à côté d’une telle pépite.
A l’écoute des albums de Lou Reed dans les années 80, on se pince beaucoup… jusqu’au sang même… S’il faut rester aimable, c’est très inégal voire dispensable, bien en dessous de ses belles seventies, sans même évoquer The Velvet Underground, la matrice noire du rock. Avant de nous perdre, Lou Reed se fit du mal. Attention, ça pique méchamment ! En 1984, le clip I Love You Suzanne déchire les derniers fans, lorsqu’une doublure du chanteur pirouette pour une blonde, mannequin d’agence recrutée à l’occasion (ça change de Rachel surgi.e de l’underground…). Et on ne parle même pas de la musique… Hein, c’est quoi ce bordel ? ça vaut encore le coup d’œil pour saisir le mainstream désastreux de l’époque quand MTV menait la danse. OK, il faut payer ses ardoises fiscales, mais quand même pas à ce prix là… Deux ans plus tard, le clip The Original Wrapper – le jeu de mots qui tue…ou pas – tape encore plus fort. Des teckels en goguette dans les rues de New York déambulent au milieu d’acteurs en rollers et d’une improbable Statue de la Liberté, le tout sur une esthétique furieusement datée. Faut-il s’attarder aussi sur la chorégraphie des danseurs conviés dans ce mauvais cirque ? Coiffé d’un chapeau à paillettes, façon Master Of Ceremony, Lou Reed s’essaie au rap sur cet extrait de l’album Mistrial, prétendant sérieux au titre de son nadir discographique. Faute d’en pleurer, ayons le ricanement mauvais…
Dans cette période obscure, il y eut quand même une étincelle de toute beauté, histoire de sauver les fans en PLS… En 1985, le producteur Hal Willner invita en effet quelques pointures sur Lost in the Stars : The Music of Kurt Weill. Parmi tant d’autres, Tom Waits, Sting, Marianne Faithfull sont de la fête pour un hommage aux années allemandes et américaines du compositeur, qui eut la bonne idée de quitter son pays avant le carnage nazi. Wilner est un ami de Lou Reed dont il admire les prises de risque et la quête de nouveauté, quitte à ruiner sa carrière. Le chanteur est donc un invité de choix avec sa reprise de September Song. Composée en 1938 pour la comédie musicale Knickerbocker Holiday, la chanson est déjà un classique, depuis les reprises de Frank Sinatra et Ella Fitzgerald. Quant au texte, la plume de Maxwell Anderson évoque le passage du temps avec une mélancolie tenace, lorsqu’un vieil homme s’adresse à une jeune femme pour profiter du peu de temps qu’il lui reste, à l’automne de sa vie. Bien souvent September Song est jouée sur un tempo lent qui a tout son charme. Plus rock, Ian McCulloch d’Echo & the Bunnymen sortit également sa version pour un premier single solo en 1984. Bref, c’est une ballade, bien installée dans la culture populaire, que l’on ne présente plus…
Au studio Power Station de New York, Lou Reed vampirise September Song de sa plus belle morsure. Signe qui ne trompe pas, le titre sortit en 45 tours pour faire son petit effet sur les ondes. Sous une pochette noire très sobre, le disque dévoile une version magique, l’un de ses trésors cachés dans sa longue discographie. Sur un tempo rapide, Lou Reed chante d’une voix presque enjouée avant de balancer un solo de guitare mémorable. Il se trouve d’ailleurs en excellente compagnie, avec Eric Parker à la batterie et Peter Wood au clavier, tous deux au jeu impeccable. Son fidèle camarade Fernando Saunders l’accompagne d’une belle ondulation de basse. La version est d’autant plus imparable que les cuivres du Uptown Horns (Crispin Cioe, Arno Hecht, Paul Litteral, et Bob Funk) sont de la balade. C’est la grande classe. ça vibre très fort. Dans mes souvenirs d’adolescence, j’ai joué ce 45 tours en boucle sur ma platine tant je trouvais la version bien foutue.
« Je n’ai jamais admis la différence entre la musique sérieuse et la musique légère ; il n’y a que la bonne ou bien la mauvaise musique » disait Kurt Weil, en réponse à ses détracteurs qui le snobaient en se pinçant le nez. Ken Freedman, un animateur radio US a recensé une trentaine de reprises de September Song, dont la coolissime version de James Brown sur l’album Soul On Top de 1970, qui vaut aussi le détour. Dans l’exercice, Lou Reed sort le grand jeu et abat sa meilleure carte.
Amaury de Lauzanne
September Song – les paroles :
When I was a young man courting the girls
I played me a waiting game
If a maid refused me with tossing curls (Aw)
I’d let that old earth take a couple whirls
While I plied her with tears in place of pearls
And as time came around she came my way
As time came around she came
(Quand j’étais jeune homme et que je courais les filles / Je jouais à les faire attendre / Si une servante me refusait en agitant ses boucles (Oh !) / Je laissais cette vieille terre faire quelques tours / Pendant que je la couvrais de larmes au lieu de perles / Et avec le temps, elle venait à moi / Avec le temps elle venait.)
For it’s a long, long while
From May to December
And the days grow short
When you reach September
And I have the lost my teeth
And I’m walking a little lame
Hey honey, I haven’t got the time
For any waiting game
(Car c’est long, long moment / De mai à décembre /Et les jours raccourcissent / Quand on arrive en septembre / Et j’ai perdu mes dents / Et je boite un peu / Hé chérie, je n’ai pas le temps / De jouer à attendre)
And the days turn to gold
As they grow few
September, November
And these few golden days
I’d like to spend them with you
These golden days
I’d like to spend them with you
(Et les jours se changent en or / Comme ils se font rares / Septembre, novembre / Et ces quelques jours en or / J’aimerais les passer avec toi / Ces jours en or / J’aimerais les passer avec toi)
And the days dwindle down
To a precious few
September, November
And I’m not quite equipped
For these waiting games
I have a little money
And I’ve had a little pain
(Et les jours s’amenuisent / Ils n’en reste plus que quelques uns, précieux / Septembre, novembre / Et je ne suis pas tout à fait équipé / Pour jouer à attendre / J’ai un peu d’argent / Et J’ai eu un peu de douleur)
And these few golden days
As they grow so few
These golden days
I’d like to spend them with you
These precious golden days
I’d like to spend them with you
September song, September song
September song, September song
(Et ces quelques jours en or / Comme ils se font rares / Ces jours en or / J’aimerais les passer avec toi / Ces précieux jours en or / J’aimerais les passer avec toi / Chanson de septembre, chanson de septembre / Chanson de septembre, chanson de septembre)