A partir d’une histoire de vengeance assez classique, la romancière tchèque Petra Klabouchová nous fait entrer dans la terrifiante prison de Pankrác (Tchécoslovaquie) où croupirent des milliers de prisonniers politiques. Près du mur nord est un roman édifiant et nécessaire.
Entre 1948 et 1965, des centaines de femmes – parfois enceintes – ont été envoyées dans la terrifiante prison de Pankrác, non loin du centre-ville de Prague. Là, ces opposantes au régime communiste de l’époque ont vécu les pires sévices. Certaines ont accouché dans ces geôles sordides, les nouveau-nés, lorsqu’ils survivaient, étaient emmenés loin de ces mères désespérées… Beaucoup de ces femmes et de ces enfants ne sont jamais sortis de Pankrác. Leurs corps ont ensuite été jetés dans des fosses communes du cimetière de Dablice. Toutes les traces de ces exactions, tous les registres de la prison et du cimetière ont même disparu, empêchant les survivants et les familles de faire leur deuil…
C’est cette terrible histoire que la romancière tchèque Petra Klabouchová raconte dans un roman noir aux allures gothiques. Le récit suit le parcours meurtrier d’un homme, surnommé « l’Homme au cœur troué » qui, dans les années 2010, se venge de quelques-uns des tortionnaires de la prison de Pankrác. Après la chute du régime communiste, suite à la révolution de Velours en 1989, tous ou presque ont réussi à faire oublier le rôle qu’ils ont joué dans la répression et la torture des opposants politiques. Mais « l’Homme au cœur troué » (l’explication de ce surnom est fourni dès le saisissant prologue du roman) a réussi à mettre la main sur plusieurs dossiers administratifs de la prison. Le roman de Petra Klabouchová alterne donc plusieurs fils narratifs. L’un d’entre eux suit bien sûr « l’Homme au cœur troué » dans l’exécution de son plan : un à un, il retrouve les hommes et les femmes – désormais des vieillards – et se venge d’eux après les avoir confrontés à leur passé. Parallèlement à cette partie du récit, on plonge avec le personnage dans la lecture des dossiers de Pankrác. Petra Klabouchová raconte alors le destin de quelques-unes de ces prisonnières et nous confronte à l’enfer qu’elles ont vécu. Solidement documenté, comme l’atteste la postface, Près du mur nord devient alors une fiction quasi-documentaire à la puissance émotionnelle saisissante.
L’écriture de Petra Klabouchová, précise, parfois lyrique, raconte, décrit mais rend aussi hommage à ces victimes de la monstruosité humaine. Son objectif est alors évident : donner une voix à celles que l’on a fait taire, reconstituer des histoires que le régime de l’époque à chercher à effacer. La lecture de ces chapitres, régulièrement éprouvante, s’impose pourtant comme une nécessité et obéit à un indispensable travail de mémoire.
Mais l’une des grandes forces de Près du mur nord réside dans la capacité de Petra Klabouchová à maintenir en permanence la force romanesque de son récit. Ainsi, une autre partie de son livre se déroule dans une maison de retraite où survivent des vieillards souvent oubliés de leurs proches. C’est là que travail « la soignante des mourants », une infirmière totalement dévouée à ses patients. Mais elle va bientôt être confrontée à une série d’événements inexplicables, peut-être surnaturels, qui entourent l’une des résidentes, une vieille femme qui paraît prête à basculer dans la folie. Ces chapitres, qui baignent dans une ambiance fantastique, sont eux aussi très réussis car on y retrouve notamment le talent de portraitiste de Petra Klabouchová, mais aussi sa capacité à créer une atmosphère gothique, mystérieuse et angoissante.
Exigeante, parfois douloureuse, mais aussi passionnante et nécessaire, la lecture de Près du mur nord nous paraît donc incontournable. Elle illustre aussi le formidable travail des éditions Agullo – travail qui mérite une nouvelle fois d’être signalé.
Grégory Seyer