Vingt-huitième album pour les Frères Mael, et une confirmation qu’ils cherchent toujours à surprendre leurs fans les plus fidèles, cette fois dans un registre plus « MAD!« , comprenez plus fou, plus enragé.

Voici MAD! paru sous le label indépendant et britannique Transgressive Records, qui en décline même une version en cassette audio. En dépit des années, le groupe Sparks garde toute sa malice, parsemant sa route d’un nouvel album studio, le 28ème… Si l’actualité ne les amuse guère, en particulier aux Etats-Unis, les frères Mael reviennent avec douze chansons finement balancées. MAD! peut s’entendre à la fois dans le sens de folie, mais aussi de rage, ce double sens collant si bien à l’époque. Il y a en effet de quoi taper sur les nerfs depuis l’incendie démentiel de Los Angeles, ravageant Pacific Palisades, le quartier de leur enfance, et la présidence allumée de Donal Trump, avec sa guerre culturelle pour le moins déroutante… Comme l’avoue Ron en interview, il faudra un certain temps pour tout réparer…
En 2025, Sparks défient le cliché des frères qui se déchirent au sein d’un groupe en pure perte, du genre à planter les fans juste avant un concert ! Sans querelle de leadership, les Mael partagent harmonieusement le plaisir de la création, avec l’intuition pour seule guide : « Nous sommes incapables de faire autre chose que ce que notre sensibilité nous dit de faire, donc même si on nous pousse dans la mauvaise direction, on ne peut pas y aller » assure Ron. Le nerveux Do Things My Own Way ouvre d’ailleurs l’album sur ce mantra : « My advice ?/No advice » (Mon conseil ? / Aucun conseil), la phrase préférée des Sparks au point de la mettre en valeur lors du mixage en enlevant la musique ce bref instant… MAD! est donc un manifeste à la liberté de faire les choses à sa façon, leur ligne de conduite depuis le début.
Dans les nombreuses interviews données cette année, les Mael Brothers racontent avoir de singuliers défis à relever. Offrir d’abord une musique percutante pour marquer les esprits, et faire leur place dans un monde qui offre tant de distractions de toutes sortes : « C’est notre boulot de faire quelque chose qui soit impressionnant et choquant pour ce nouvel album » raconte Russell. Autre gageure, celle de signer un disque avec de nouvelles idées, pour se distinguer de leurs œuvres passées sans se renier, trouver un bel équilibre en somme, le tout avec style : « Nous savons, bien sûr, que peu importe ce que nous touchons, le résultat portera toujours une sorte de marque Sparks. Il y a certainement des éléments familiers sur le nouvel album, mais dans un sens plus large, il me semble nouveau. C’est notre vingt-huitième album, mais on veut que les gens pensent que c’est notre premier album » avance encore Ron. A la première écoute, on a l’impression d’un pari joliment relevé.
Servis par des clips efficaces et une promo ciselée, plusieurs singles annonçaient déjà la couleur : Sparks ont encore l’art et la manière, prouvant de nouveau leur belle maîtrise. MAD ! offre des mélodies accrocheuses et une pop (af)futée, des chansons théâtrales et décalées, toutes en subtilité. Après une année de travail dans leur home studio, à raison de plusieurs heures par jour, le son se distingue par un bel équilibre des claviers, des guitares, des voix et des cordes bien placées. Ayant travaillé avec Todd Rundgren, Georgio Moroder, Tony Visconti parmi d’autres, Sparks mènent désormais leur barque, seuls maîtres à bord, accompagnés par Max Whipple à la basse, Eli Pearl et Evan Weiss aux guitares, Stevie Nistor à la batterie (sur trois titres pour ce dernier). Quant à la voix, elle garde tout son charme, Russell en prenant grand soin avec des exercices réguliers de cardio, car de son propre aveu, « chanter, c’est avant tout respirer« , même si l’âge menace la tessiture. Au passage, Ron et Russell Mael font un joli pied de nez à leurs actes de naissance.
Malgré son charme, MAD! ne se dévoile pas d’emblée, l’album se faisant clairement kaléidoscopique. Si quelques chansons accrochent de suite, à l’instar de la très pop A Little Bit Of Light Banter, d’autres titres résistent de prime abord du fait de leur complexité. Avec les frères Mael, il ne faut pas s’attendre à tout saisir du premier coup, car tout cela se joue en subtilité. Ils connaissent à l’évidence leur affaire, car leurs chansons sont habilement disposées sur ce disque pour nous mener par le bout des oreilles. Sans compter cet humour froid, quand les lyrics s’amusent à placer les mots camembert et épistémologie, pas commun quand même… ou ce décalage farfelu sur JanSport Backpack, « un sac conçu pour toutes les aventures » selon la marque. Se promenant beaucoup, même en tournée, juste pour voir des les choses et les gens, Ron a remarqué le succès de ce sac même chez les filles les plus « branchées mode ». Dans cette chanson de plus en plus grandiloquente et burlesque, cet objet banal du quotidien raconte alors la fin d’une histoire quand la bien aimée vous tourne définitivement le dos, disparaissant dans une foule de sacs similaires. D’ailleurs, le site officiel du groupe propose à la vente un JanSport Backpack avec la signature Sparks…
Après les deux titres d’ouverture, Hit Me Baby monte d’un cran avec un son plus lourd et brut, sur des guitares puissantes, quand Russell implore de se faire frapper comme Tyson pour sortir d’un mauvais sommeil hanté par un sale cauchemar, rien d’autre que ce monde insensé et flippant. on acquiesce bien volontiers. L’album prend véritablement feu sur Running Up A Tab At A Hotel For The Fab, délicieusement menaçant. Russell chante l’esbroufe d’un pauvre type essayant d’épater une petite amie, en menant la grande vie dans les hôtels, une fuite en avant qui s’achève en prison, sans regrets d’ailleurs… Des effets de voix aux couches de synthés, sur une basse et une batterie bien tenaces, on se prend la claque. Dans son déluge de guitares et de cordes, la chanson devient rapidement hypnotique.
Au cœur de l’album, Sparks se posent un peu avec My Devotion. Une jolie ballade, avec son cortège de voix, qui séduit d’abord avant de lasser, cette sucrerie de passage trainant un peu à mon goût. Quant aux lyrics, ils évoquent l’attirance : « My devotion to you/ Is about all that I do/ Got your name written on my shoe/And I’m thinkin’ of gettin’ a tattoo » (Ma dévotion pour toi / C’est tout ce que je fais / J’ai ton nom écrit sur ma chaussure / Et je pense à me faire tatouer). Le trépidant Don’t Dog It réveille sur des pulsations saccadées, des voix aux instruments, pour se moquer de l’emprise des gourous ? Puis In Day Light se fait poétique et gracieuse. Un mystère amoureux se trame de toute évidence : « Everybody looks great at night/Ain’t no trick to look great at night/You were impressive/In daylight, I saw you/Sunlight oppressive/But it’s working for you. » (Tout le monde est beau la nuit/Il n’y a pas d’astuce pour être beau la nuit/ Tu étais impressionnant/En plein jour, je t’ai vu/La lumière du soleil est oppressante/Mais ça marche pour toi). Un petit bijou atmosphérique.
Quelques grains de folie surprennent enfin… I-405 Rules revient sur les terres des Sparks, quand cette sérénade lyrique devient un hymne à l’autoroute californienne, que les frères contemplent à l’occasion la nuit depuis le musée Getty, rescapé des flammes. C’est une véritable pièce orchestrale, aux cordes et aux cloches folles, dédiée à cette route comparée aux grands fleuves de la planète , »And the Seine, oh mon Dieu« … Russell s’amuse à chanter le cortège des automobilistes qui sourient tous à l’heure de pointe, sans le moindre écart de conduite… Encore un chouette morceau d’un disque qui n’offre pas vraiment de ventre mou. A Long Red Light culmine ainsi avec un « Wait » lancinant pour chanter l’attente au feu rouge, lorsque l’on ronge méchamment son frein, plein de frustration. Et non, ceci n’est pas une métaphore, affirment les frères Mael ! Musicalement, c’est du Sparks à leur meilleur, un délire très bien ouvragé avec des ricochets de synthés et des vocalises allumées, un délice alambiqué. Enfin Drowned in a Sea of Tears se fait lourde de regrets et de tensions, une histoire de couple défait sur fond de dépression. Tout se conjugue alors, de la musique au chant, pour laisser une impression de rupture inéluctable. Le clip et les paroles ajoutent aussi à l’aspect tragique de l’affaire : « Drowned in a sea of tears/Almost saved her/ I was so very near » (Noyée dans une mer de larmes, je l’ai presque sauvée, j’étais si proche). Le titre le plus sombre de l’album à l’évidence, de quoi donner quelques frissons.
Puisqu’il faut bien se quitter, les deux dernières chansons sonnent très british pop, avec guitares et batterie judicieusement amenées. Dans le genre, A Little Bit Of Light Banter fait le job avec son refrain lancinant : « Just a little bit of light banter And then we turn off the light” (Juste un peu de plaisanterie légère et puis on éteint la lumière)… Justement Lord Have Mercy caresse le final sur une composition maline, qui sonne furieusement Beatles sur le coup, quand surgit un solo de guitare boursouflé que l’on sent bien parodique pour tout dire. « Don’t hate us for it » commente d’ailleurs Ron, pince sans rire dans une interview au NME… On ne se refait pas, n’est-ce pas ? Les derniers albums de Sparks avaient déjà bien taquiné les charts britanniques. Après quelques écoutes, on se dit que MAD! a de beaux atouts pour connaître un succès similaire. Quant aux Etats-Unis, nul n’est prophète en son pays…
Avec une belle envie de retrouver son public, Sparks débutent bientôt une tournée au Japon, avant de passer notamment par la Salle Pleyel à Paris, le 30 juin prochain, parmi d’autres dates européennes, pour finir avec des concerts en Amérique, en particulier dans leur Californie natale. Encore en ébullition, les frères préparent depuis plusieurs mois une nouvelle comédie musicale, cette fois avec le réalisateur John Woo à la manœuvre. Toujours avec cette fantaisie décalée qui leur colle à la peau, au service d’une pop originale et sophistiquée, le duo des frangins fait encore des étincelles.
Amaury de Lauzanne
Kado ! Chouette session à la BBC pour quatre titres de l’album et un interview. Enjoy !