L’américaine Hannah Deitch vit à Los Angeles et nous offre là son premier roman : Ennemies publiques est un road-novel emballé et emballant.

Ah, les personnages ! Tout est là ou presque.
Voici l’histoire d’une cavale, le road-trip de deux femmes qu’il est facile de dépeindre comme les héritières de Thelma et Louise (et non pas comme celles de Charles Manson comme vont le faire la police et les journaux, pfff !).
On pourrait même plutôt les appeler « Bonnie et Bonnie. Pas de Clyde en vue. »
Evie – c’est elle qui raconte l’histoire à la première personne – Evie est une étudiante brillante qui vivote en donnant des cours particuliers à des adolescents-gosses de riches (coach pour le SAT – Scholastic Assessment Test – l’examen d’entrée aux universités US, ce fut d’ailleurs le premier job de l’auteure).
En arrivant chez la famille Victor pour le cours de la jeune Serena, Evie découvre les cadavres salement mutilés des parents.
Ça tourne vite assez mal, Evie s’enfuit en emmenant avec elle une autre jeune femme qu’elle a découverte enfermée et ligotée dans un placard : visiblement les Victor avaient une vie cachée ?!
Voici donc Evie et la jeune femme mutique – on apprendra beaucoup plus tard qui elle est et ce qu’elle faisait dans le placard – Evie et la jeune femme mutique en fuite sur les routes US avec toutes les polices à leurs trousses.
« […] Un avenir de fugitive, à me nourrir de conserves froides dans des chambres d’hôtel sordides avec pour seule compagnie cette étrangère mutique et méfiante que j’avais trouvée attachée dans leur maison. »
Le bouquin ne commence pas trop bien, avec des petites phrases qui semblent un peu trop taillées pour le marketing.
« […] J’ai été une meurtrière célèbre, à une époque. J’ai assassiné une famille entière de gens très riches, façon Charles Manson, et j’ai fui la scène de crime. »
C’est Evie qui nous présente en détail sa situation, la trentaine, diplômée de tout et de rien, amère et désabusée, le rêve américain complètement en panne. C’est très moderne, très « je », très « jeunesse américaine », donc un peu éloigné de notre culture.
Ça ratisse large mais on se dit qu’il faut tout de même persévérer quelques pages.
Heureusement le récit trouve bien vite son rythme, complètement emporté par la cavale infernale des deux jeunes femmes.
Et bêtement, le lecteur se retrouve emporté lui-aussi.
Happé, captivé, impossible de lâcher le bouquin. On est à fond, on dévore les kilomètres de ce road-trip, ces deux femmes crèvent l’écran, traversent les US de long en large, tantôt on accélère pour en savoir plus et plus vite, tantôt on freine, en vain, pour que le film ne finisse jamais.
Pour son premier roman, Hannah Deitch a vraiment réussi un joli coup avec ce couple d’héroïnes : Evie et l’autre femme, « cette étrangère mutique et méfiante ».
C’est avec émotion que le lecteur va suivre leurs approches, leur rapprochement, leurs sentiments, leurs émois (oui, oui).
« […] Elle s’efforçait de paraître distante, mais elle avait surtout l’air timide. J’aimais bien l’idée d’avoir cet effet sur elle. »
« […] La femme s’est penchée pour me prendre la main. Elle a fait glisser son doigt sur ma paume et mon corps s’est tendu comme une peau de tambour. J’ai fini par comprendre qu’elle traçait des lettres pour que je les lise. »
« […] J’ai failli ne pas remarquer qu’elle avait parlé. « Je murmurais des choses, a-t-elle poursuivi. En secret. Quand tu partais nous acheter à manger. Dans la baignoire, la première nuit.
– Tu t’entraînais à…parler ?
– Oui. Je voulais être sûre d’en être encore capable. Ma voix me paraissait…étrange. »
C’est avec angoisse que le lecteur va suivre leur cavale, leurs mésaventures, leur fuite, leurs déboires.
« […] J’étais exténuée. J’avais passé la journée à conduire, dans un état de vigilance constante. Je ne m’imaginais pas retourner dans la voiture, dans la nuit, pour rejoindre un monde peuplé de flics et d’US Marshals, d’agents du FBI et de réceptionnistes d’hôtel. C’était un miracle que nous n’ayons pas encore été arrêtées. »
Alors, oui, ça palpite.
Et puis c’est quand même un thriller ! Alors que fait la police ? Que s’est-il réellement passé dans la maison des Victor avant que Evie ne découvre les cadavres ? Que faisait « cette étrangère mutique et méfiante » enfermée et attachée dans la maison ?
Oh ce roman n’est peut-être pas exempt de quelques défauts de jeunesse (jeunesse du récit comme des personnages). Quelques chapitres se perdent parfois dans les introspections de Evie et Hannah Deitch semble hésiter entre une belle romance amoureuse et une critique très acide d’un rêve américain qui tourne au cauchemar.
Mais ce n’est là que le premier roman d’une auteure qui est indéniablement « à suivre » : sa plume ne peut que se bonifier avec la maturité.
Bruno Ménétrier