Comédie grinçante de Seth Rogen, The Studio n’hésite pas à égratigner ce petit monde du cinéma de Los Angeles qu’il connaît bien. Un résultat brillant, formellement incroyable et qui fait mouche.
On n’imaginait pas trop, sur le papier, le héros de Nos Pire Voisins ou des films de Judd Apatow aux commandes de cette vision acide de l’usine à rêves du 7ème art… Et pourtant, en y réfléchissant, Seth Rogen semble incarner sa propre vie le long de ces dix courts épisodes survoltés. Ou du moins s’en approcher de très près : début de carrière dans des « potacheries » ou des comédies cultes des années 90, producteur et réalisateur plus ou moins heureux de succès ou de catastrophes industrielles, des essais de films innovants et osés (L’interview qui tue) qui s’avère des échecs commerciaux ou incompris… Bref, sa carrière, c’est un peu celle de Matt Remick, producteur chez Continental, à la recherche de films, de metteurs en scène, d’idées qui seraient un parfait équilibre entre rentabilité financière et exigence artistique. Sauf que ce n’est plus possible : faire de la merde qui rapporte ? Ou de l’Art qui sera probablement un échec commercial mais dont on se rappellera éternellement ? Concilier sa conscience woke et les délires de ses associés sous coke en permanence ? The Studio ne tranche pas : il constate, pose les bases, et fonce bille en tête. Le résultat est un éclaboussant coup de poing visuel, qui rend tout aussi hilare qu’exsangue.
La série fourmille de bonnes idées, difficile de les évoquer toutes…arrêtons-nous sur quelques-unes… Déjà, l’apparition de personnalités connues du cinéma – dans leurs propres rôles – pour des caméos ou des scènes plus importantes est géniale : Martin Scorsese en possible metteur en scène que le studio réfléchit à embaucher, Zoé Kravitz en actrice complètement cramée, Ron Howard en réal’ plein de lubies et énervant, tous jouent parfaitement le jeu à contre-emploi… C’est troublant car on se demande s’ils ne sont pas très proches d’une triste réalité économique du milieu.
Autre grand moment : cet épisode « pas de côté » où Matt Remick sort avec une chirurgienne spécialiste des cancers et découvre, lors d’un gala de charité, cet autre monde professionnel, assez égocentrique également, qui méprise le monde du divertissement, se pensant plus important car « on sauve des vies, nous »… S’ensuit un vrai régal de joutes verbales, et de confrontations quasi philosophiques entre l’art, la vie, la mort, et ce qui fait que nous vivons, et pourquoi on vit.
Enfin, et non des moindres, la mise en scène est incroyable : car il aurait suffi d’une réalisation classique pour développer des dialogues brillants ou des situations délicieuses, mais Seth Rogen veut vraiment qu’on soit immergé au coeur de la machine cinématographique. Tour à tour, les épisodes, jamais réalisés de la même manière, explorent différentes facettes du savoir-faire hollywoodien : une atmosphère de polar noir des années 40, un épisode entièrement en plan-séquence dantesque, une mise en abîme de film dans le film, un final en deux parties façon documentaire caméra à l’épaule qui fatigue autant qu’elle fascine… il ose tout avec maestia. Et si parfois, le jargon professionnel ou les références très « Hollywood de l’entre-soi » peuvent nous égarer, le propos, les scènes loufoques et le message sont passionnants, et l’ensemble aussi drôle que pathétique.
On ne s’étendra pas davantage sur l’interprétation magistrale de tout ce cortège de fous furieux – Seth Rogen parfait en producteur débordé, empathique, constamment sur le fil du rasoir, mais aussi Kathryn Hahn, bien plus convaincante en productrice adjointe complètement folle qu’en sorcière Agatha chez Marvel, ou Bryan Cranston, qui depuis Breaking Bad enchaîne des seconds rôles avec brio (ici, il est hallucinant).
Il est possible que The Studio laisse certains spectateurs sur le pas de la porte, à regarder ce petit monde méprisant de l’industrie cinématographique en crise s’agiter avec hystérie. Mais pour ceux qui franchissent les premiers épisodes, accrochez bien votre ceinture, ça dépote, ça égratigne sec, et c’est jubilatoire. A vous de voir !
Jean-François Lahorgue