Le très beau noir & blanc de Chabouté nous invite au voyage, avec cette petite histoire tranquille et ordinaire. Une invitation à ouvrir notre regard non pas sur un lointain Alaska, mais bien sur le monde qui nous entoure ici et maintenant.

L’Alsacien Christophe Chabouté est né en 70 et l’une de ses premières BD à rencontrer le succès sera Pleine lune, un récit policier publié en 1999. La consécration internationale viendra avec Tout seul, un album sorti en 2008. Depuis le début de sa carrière, Chabouté reste fidèle à ses propres standards : un noir & blanc clair et précis, des héros plutôt ordinaires, une mise en page dynamique et des récits de peu de mots.
Alexandre est gardien de parking. Gardien de nuit. Et pour une fois, il a décidé de partir plus loin qu’ailleurs. « Et qu’est-ce que tu vas faire pendant des vacances ? T’en as jamais pris de ta vie ! Ça fait bien 20 piges que tu as le cul vissé sur cette chaise toutes les nuits. le nez dans tes dessins.
— Je pars en Alaska ! (…) Je vais faire un trek. L’Alaska, le Klondike, le bout du monde quoi. (…)Je vis au même endroit depuis bientôt 28 ans. Je n’ai jamais vu la tête de mes voisins. Je n’ai jamais dit bonjour à mon facteur. Je ne sais même pas à quoi il ressemble. Je vis dans un quartier que je ne connais pas. (…) Une vie de hibou. »
Voici donc Alexandre qui se prépare à suivre les traces de Pete Fromm, son livre de chevet, après avoir glissé le Manuel du randonneur dans son sac. Jusqu’à l’aéroport tout va bien. Mais là, patatras, son voyage est annulé. Et double patatras, Alexandre se casse la cheville dans les escalators. Le voilà de retour à la case départ où l’envie le reprend de radicalement changer d’air ou de point de vue : il prend donc une chambre à l’hôtel… en face de chez lui, juste de l’autre côté de la place.
À défaut d’ours polaires et de grands espaces il va enfin pouvoir découvrir son quartier et ses habitants. Étudier ses voisins (nous ?), leurs chaussures, leurs téléphones, leurs comportements, les bruits, les couleurs, les petits papiers jetés ici ou là. Et le soir, de retour à son hôtel, Alexandre prend des notes dans son carnet de voyage. La première sera : « partir en restant ». Chaque « randonnée » autour de la place du quartier est l’occasion pour Alexandre et son lecteur, d’une petite leçon de vie, comme on dit.
Les dessins de Chabouté sont passionnants. Ce beau noir & blanc net, précis, laisse entrevoir de nouveaux détails à chaque lecture. Les pages ne sont pas envahies de bulles verbeuses ou explicatives et c’est avec l’enchaînement des plans, des cadrages, leur répétition, que le lecteur devine ce qui se trame. Il y a là ce ton paisible des histoires tranquilles et ordinaires. Une astucieuse histoire qui se conclut de jolie façon, dans une ambiance qui rappelle beaucoup celle des albums d’Etienne Davodeau.
Et puis il y a là les petites leçons de vie qui nous sont dispensées, sans prétention, destinées à ouvrir notre regard, nos yeux, nos oreilles, non pas sur un lointain Alaska, mais bien sur le monde qui nous entoure ici et maintenant. Pour « se dépoussiérer les yeux » sur notre environnement, les passants, les voisins… On flirte parfois avec la gentille philosophie quand une simple liste de courses devient une véritable œuvre d’art, une « nature morte », ou même avec la question existentielle quand on se demande si « un poisson au fond de l’eau entend râler le pêcheur assis sur la berge ? ».
Malgré ses apparences trompeuses et paradoxales, cet album est tout de même un bel appel à voyager, là-bas ou ici.
Bruno Ménétrier
Plus loin qu’ailleurs
Scénario et dessin : Christophe Chabouté
Editeur : Glénat / Vents d’ouest
152 pages – 24 €
Date de parution : 7 mai 2025
Plus loin qu’ailleurs — Extrait :
