Stephen Malkmus et ses trois compères sont à Paris pour livrer la version live de leur premier album. Quatre vétérans de la scène indie-rock au sommet de leur osmose, de leur musicalité et de leur créativité pour une soirée mémorable.

Ce n’est pas pour nous rajeunir : cela fait dix-sept ans que Stephen Malkmus n’a pas joué à la Maroquinerie ! Accompagné à l’époque de ses Jicks, il était venu défendre son troisième album post-Pavement, Real Emotional Trash, devant un maigre public entièrement composé de nostalgiques. D’autres albums ont suivi, sans jamais réussir à renouer un tant soit peu avec le succès d’antan : trop sages, trop gorgés de longs solos de guitare avec des compositions inégales, ils ont donné lieu à d’autres concerts un peu ennuyants. Dans le même temps, le statut culte de Pavement s’est renforcé, les tournées de reformation ont permis au groupe de jouer dans des salles inaccessibles au moment de leur splendeur (Le Grand Rex à Paris notamment), et Malkmus a trouvé le moyen d’être cité dans Barbie au même titre que Lou Reed.
Si l’on ajoute à cela la sortie de l’excellent Traditional Techniques et la création de The Hard Quartet avec un excellent premier album, le momentum est actuellement excellent. Le point commun entre ces deux projets est la présence de Matt Sweeney. Cette fructueuse collaboration est amusante quand on sait que Sweeney est principalement connu pour son rôle auprès de Will Oldham, mais qu’il a déjà auparavant été dans le supergroupe Zwan auprès de Billy Corgan, dont les Smashing Pumpkins avaient été égratignés dans le fameux Range Life de Pavement. The Hard Quartet comprend également Emmett Kelly et Jim White à la batterie, ce qui en fait un combo que l’on imagine redoutable sur scène.
Direction la Maroquinerie qui remplace au pied levé la Gaité Lyrique qui devait accueillir le concert, mais est fermée depuis décembre du fait de son occupation, et qui ne reprendra que progressivement ses activités. Il a quelques années, la perspective d’aller à la Maroquinerie pendant une canicule parisienne n’aurait pas été sympathique, tant nous avons le souvenir de la température insupportable qui pouvait y régner. Mais c’était avant que la climatisation y soit installée et, de fait, le concert va se dérouler dans des conditions en tout point parfaites.
Cette soirée sera gravée à jamais dans la mémoire de votre chroniqueur, pantois, grâce à ce « Nice tee shirt ! », jeté avec un clin d’œil avant d’entrer à la Maroquinerie par Stephen Malkmus : c’était une bonne idée de faire les fonds de tiroir pour retrouver son merch Pavement !

La première partie est prévue pour 20h, et c’est pile dans les temps qu’arrive sur scène CIA Debutante, un duo parisien composé de Paul Bonnet et de l’australien Nathan Roche. Roche est plus connu pour sa participation dans le Villejuif Underground, un groupe influencé par le Velvet dont il est à la fois le chanteur et le guitariste. Mais autant ce dernier groupe peut se targuer d’avoir des morceaux de facture plutôt classique, autant CIA Debutante se présente comme un groupe expérimental. Et de fait,… il l’est… Roche passe la plupart de son temps à genoux, à s’amuser avec ses pédales, fait des sons étranges avec sa gratte, et chante des choses incompréhensibles avec une absence totale de mélodie, quand il ne se s’adonne pas au spoken word. Le genre de groupe que Sonic Youth mettait en première partie de ses tournées quand ils voulaient donner une exposition à une scène underground locale. C’est donc… étonnant… et ne dure, heureusement, que 30 minutes.
A 21h, les quatre membres de The Hard Quartet investissent la scène de la Maro, devant le public habituel des groupes indés des années 90. Beaucoup de cinquantenaires venus manifestement pour Malkmus, mais également quelques jeunes, ce qui fait plaisir. Pendant 75 minutes, le groupe va interpréter l’intégralité de son unique album à ce jour, sans aucun morceau tiré du back catalogue de ses illustres membres. Malkmus, Kelly et Sweeney vont se partager guitares et basses, solos et rythmique sous la haute supervision de Jim White, sobre et parfait dans son rôle de métronome.
Le disque ne sera pas joué dans l’ordre, et Thug Dynasty ouvre le bal avec ses chœurs, et déjà une évidence : ça joue fabuleusement bien, l’alchimie entre les quatre membres est indéniable, et la soirée promet d’être parfaite. Heel Highway enfonce le clou : cette ballade de Malkmus aurait pu figurer sur Brighten the Corners. Il appelle à la paix sur terre, la mélodie est magnifique, et Kelly se lance dans son premier solo. Placer aussi tôt ce morceau parfait pourrait être dangereux pour de nombreux groupes, mais pas pour The Hard Quartet, qui enchaine avec le premier single, Rio’s song, chanté par Sweeney. Malkmus semble ne pas avoir voulu se présenter comme le leader du groupe, même s’il l’est de fait. Choisir une composition de Sweeney en premier single rentre bien sûr dans cette logique, mais le titre le mérite, cool et immédiat. Malkmus s’occupe du solo.
C’est au tour de Kelly de proposer son titre. Our Hometown Boy a un côté Byrds assumé, Malkmus a pris la basse et tout le monde se regroupe en cercle, à la Crazy Horse, dans une bonne humeur communicative. Après ce moment de coolitude absolue, Malkmus se rappelle ses jeunes années. Earth Eater aurait pu figurer dans le répertoire des Jicks, mais c’est surtout Renegade qui donne des frissons, comme sa composition la plus rêche et « schtarbée » depuis Wowee Zowee. Oui, il peut donc encore le faire ! Les fans de Pavement ne sont pas au bout de leur bonheur avec la plus grande surprise du set, qui est l’interprétation parfaite de Hey, le titre le plus proche du « son Pavement ». Les guitares donnent le frisson. Tous les morceaux joués ce jour sont meilleurs en live que sur disque, mais c’est indéniablement celui-ci qui figurera en souvenir le plus marquant du concert, comme Gold Soundz l’est resté du premier concert vu de Pavement.
Entre temps, Matt Sweeney aura chanté Killed by Death et It Suits You, toujours dans la même veine tranquille. Malkmus se perd dans la setlist et le groupe doit lui rappeler le morceau suivant : Gripping the Riptide, qui clôture l’album, est tout en tension latente avant l’explosion des guitares. Pas de doute, ça joue carré et Jim White est à la fête dans un style démonstratif. Le groupe n’oublie pas le nouveau titre, Lies, avant le morceau de bravoure, Six Deaf Rats, sept minutes de « classic Malkmus » à grimper aux rideaux. Là encore, meilleur que sur disque, le titre se prolonge et monte en puissance avant une fin toute en dissonance qui laisse le public pantois. Action for Military Men n’est pas un titre à priori marquant de l’album, et ce n’est pas celui que nous attendions le plus. Il s’avère pourtant excellent ce soir. Le groupe s’éclate et ça envoie du lourd. Malgré des titres moins marquants sur la fin, le concert reste passionnant, et va se terminer sur le morceau d’ouverture du disque, Chrome Mess. Tout en saturation et guitare grunge/stoner, le groupe va en jouer une version nettement plus longue et radicale que sur le disque. Les Queens of the Stone Age ne sont pas loin. Les possibilités du groupe semblent alors infinies, avec cette capacité de radicalité mais également de création de mélodies stellaires interprétées par des musiciens ovnis.
Ayant épuisé ses compositions, le groupe quitte la scène, mais va revenir pour un rappel d’un seul titre. Si nous n’avions pas vu les setlists auparavant, il est clair que le choix de ce morceau aurait fait surgir une petite larme. Mais comme nous préparons ces soirées, nous avions noté ce Advice To The Graduate, petite merveille de David Berman en provenance du premier album des Silver Jews, sur laquelle Malkmus chantait avec la participation d’une bonne partie du reste de Pavement.
Décidemment une soirée parfaite, sans faute de goût, pour un groupe dont nous allons attendre le prochain album avec impatience.
Laurent Fegly
Photos : Laetitia Mavrel
Bonjour à vous ! Très bon résumé de ce concert auquel j’ai aussi assisté. Les beats électroniques du premier groupe sonnaient par moments comme Suicide. Quant à la prestation de la tête d’affiche avec les deux guitares électriques elle m’a fait penser au Cheval Fou de Neil Young.