Les éditions Heloïse d’Ormesson fêtent cette année leur vingt ans d’existence. Pour célébrer cet anniversaire, voici réédité Méchamment dimanche, leur premier roman publié, occasion de (re)découvrir ce roman initiatique aux accents noirs ainsi qu’un des écrivains français les plus prolifiques et inclassables. Les mots de l’éditrice parlent d’un polar, quelque part entre La Guerre des boutons et Mystic river. Et c’est plutôt bien vu.

Côté polar, le récit débute en 2004 avec l’arrivée énigmatique d’un homme dont on ne connait pas ni l’identité ni les motivations, dans une petite ville des Vosges où vient de se dérouler un terrible fait divers. Puis direction le commissariat de police avec le procès-verbal de l’interrogatoire du suspect.
Côté Guerre des boutons, un nouvel arc narratif, celui qui prendra le plus de place, fait remonter 47 ans auparavant durant l’été 1957, auprès de la bande de Zan, 13 ans : des enfants livrés à eux-mêmes, leur guerre ouverte avec celle de Nano Grandgirard, les jeux, leurs premiers émois amoureux, les bals populaires, les jeux dans la nature et des serments très sérieux lorsqu’ils sont prononcés, à la vie à la mort. Cette chronique très réaliste de l’enfance est ornée de nombreux détails qui se répètent autour de ces motifs. Cela ralentit le récit qui peut sembler long au départ.
Mais Pierre Pelot sait incontestablement parler de l’enfance, avec tendresse et malice, sans en occulter la brutalité ou la dureté. Surtout, il sait dire son crépuscule :
« C’était un moment terrible, d’une paix suspendue entre le poids du monde passé et la fragile naissance de chrysalide des jours à venir. Il apparut à Zan que de semblables instants vivaient inévitablement en équilibre au-dessus du gouffre et que, le sachant, il en avait inéluctablement traversé bien plus qu’il n’en verrait se défroisser ou se déployer autour de lui. C’était pourtant que du bonheur, nom que l’on donne à ce frisson plat dont on surprend parfois la coulée dans les veines, du bonheur aussi de le savoir et d’en ressentir cette sensation de précarité essentielle. Il apparut à Zan que le bonheur sous cape pouvait aussi rire en tranchant. »
Le côté Mystic River arrive au deux tiers du roman. Le roman initiatique se transforme alors en roman noir sur cette fin de l’enfance qui signe la fin d’une époque, qui laisse des traces, des cicatrices, des souvenirs, des traumatismes se prolongeant jusqu’à l’âge adulte. Si on a pu trouver le temps un peu long au départ, tout s’accélère pour livrer cent dernières pages extraordinairement denses, intenses, prenantes sur le poids du passé et la culpabilité.
Les deux arcs narratifs se rejoignent ainsi brillamment. Même si on avait compris certains liens entre les deux époques, Pierre Pelot réserve de nombreuses surprises. En fait, beaucoup d’indices avaient été dispersés, pas forcément identifiables au départ, juste sentait-on la pression monter, irrésistiblement. Mais lorsque la dramaturgie s’intensifie, lorsque la vue d’ensemble peut être appréhendée de façon complète, on est bluffé par la manière dont tout prend sens dans ce passé qui ne passe pas et revient plus dangereux que jamais dans le présent, quitte à obérer le futur.
Au final, l’histoire de Zan et de sa bande est profondément touchante, bouleversante même tant l’écriture de Pierre Pelot est précise et sensible pour dire les relations entre un père et fils, entre un garçon et son chien, pour dire la violence du monde, sans aucun souci de moralisme, la vie avec ses toutes ses complexités, ses contradictions et ses ratés.
Marie-Laure Kirzy