Les Américains de Wilco font passer leur tournée européenne par la Cigale pour tenter une nouvelle fois de convaincre les Frenchies récalcitrants qu’ils font partie des plus grands groupes du monde. Une démonstration implacable grâce à un concert inoubliable.

Prévenons le lecteur immédiatement, ce n’est pas un concert classique ce mardi soir à la Cigale. Pas un auquel on décide de se rendre à la dernière minute parce que la soirée est libre ou pour découvrir un groupe prometteur, mais plutôt un de ceux dont la date est bloquée depuis des mois et génèrent une attente fébrile. Wilco fait partie de ces groupes qui ne font pas hésiter à traverser la Manche ou voyager en Europe quand je n’ai pas été rassasié par le programme français ou que la peur du manque est là. Tout ça pour prévenir du ton global de la critique qui va suivre, forcément un peu partiale.
Wilco a été créé par Jeff Tweedy sur les cendres d’Uncle Tupelo il y a plus de 30 ans, sur des promesses d’Americana de très bon goût. L’histoire s’est complexifiée quand la groupe a décidé de déstructurer sa musique à compter de 2002 et de livrer deux albums majeurs, lui valant la qualification de Radiohead américain, Yankee Hotel Foxtrot et A Ghost in Born. Le groupe s’est par la suite progressivement recentré sur une approche plus traditionnelle, qui a culminé avec le superbe Cruel Country. Le dernier disque en date, Cousin, effectue une synthèse parfaite de tous ces styles sous le patronage de Cate Le Bon qui l’a produit et a poussé le groupe dans ses retranchements. Cette difficulté à être identifié à un style n’a pas aidé le groupe sur le marché français, et Wilco, même au temps de sa splendeur, a souvent joué dans des salles peu remplies, quand elles ne l’étaient pas par des Anglais et des Néerlandais peu habitués à tant de proximité. Le sold out depuis de longs mois de cette date à la Cigale a donc surpris, peut-être dû à une nouvelle popularité télévisuelle acquise récemment (Les créateurs de The Bear sont manifestement fans….).
Le groupe de première partie, en provenance de Seattle, Deep Sea Diver, arrive sur scène à 19h30 pour un set de 30 mn. Sa principale force s’appelle Jessica Dobson, au chant, à la guitare et à la composition. Deep Sea Diver vient de publier Billboard Heart, un album très agréable, sur Sub Pop. La présence scénique de Dobson impressionne, c’est une excellente guitariste, et sa voix est puissante et expressive. Le groupe nous fait découvrir ses nouvelles compositions, comme le morceau titre, Emergency et Tiny Threads. A noter que Impossible Weight, particulièrement apprécié ce soir et extrait de l’album précédent, bénéficiait en studio de la présence de Sharon Van Etten. On ne pourra pas cacher une impression de déjà entendu, mais dans le genre rock racé, le groupe a montré ce soir qu’il était à suivre. Une excellente découverte.
La température est intense à la Cigale, et la demi-heure d’attente semble interminable sur un fond de reprises sirupeuses de standards du rock. Wilco arrive à 20h30 sous les acclamations, Neil Cline et Pat Sansone les deux guitaristes prennent position aux deux bouts de la scène, et Glenn Kotche derrière ses fûts. C’est là de fait le groupe de base, les deux autres membres, John Stirratt et Mikael Jorgenson, étant généralement plus effacés sur scène. Wilco sort d’une soirée mémorable, le groupe ayant joué la veille au Royal Albert Hall, et Tweedy remerciera ses équipes pour l’enchainement des deux dates qui a généré beaucoup de fatigue. Tweedy prendra même à parti la Cigale sur le thème : « Ah enfin une salle correcte, vous auriez vu le taudis dans lequel nous avons joué hier soir ! ». Le moins qu’on puisse dire est que personne ne ressentira cette fatigue du groupe ce soir.
Le concert va démarrer avec trois titres calmes, Wishful Thinking, Company in My Back et Evicted. Les deux premiers sont extraits d’un A Ghost is Born qui va être, comme souvent, très représenté ce soir. Enchainés avec un extrait du dernier album, ils représentent le coté cool de Wilco et figurent souvent dans les premiers titres joués. Cline est encore tranquille, les claviers ont la part belle, et nous n’avons pas encore compris qu’il serait la co-star de la soirée. Evicted, que nous entendons pour la première fois en concert, est euphorique, et digne représentant d’un album qui tient très bien la route. Handshake Drugs donne l’occasion à Cline de commencer son festival. Ce titre est le premier de la soirée à passer d’une ballade tranquille à un délire sonique. Neil Cline qui est aussi à l’aise dans le punk rock, le free jazz, la country ou l’indie rock, est le guitariste idoine pour élever des morceaux a priori tranquilles vers… autre chose… Bird Without a Tail / Base of My Skull, tiré de Cruel Country, va également subir un traitement radical, et Tweedy n’oublie évidemment pas le grand classique I am Trying to Break Your Heart.
De la même façon, Side With the Seeds démarre par du clavier subtil pour rapidement être déstructuré et finir en morceau de Sonic Youth. Faisons à ce stade un petit focus sur l’album dont ce titre est tiré. Sorti juste après A Ghost is Born, Sky Blue Sky et sa pochette simplissime a été pour beaucoup celui qui faisait rentrer Wilco dans le rang. Moins expérimental et mélodique, il peut sembler marquer la fin des expérimentations. Toujours à ce jour mon préféré, il est totalement réhabilité ce soir, et pas uniquement pour son morceau emblématique. Les premières notes d’Either Way font surgir les larmes. L’une des plus belles mélodies de Tweedy assurément, des paroles apaisantes (« Maybe the sun will shine today / The clouds will blow away / Maybe I won’t be so afraid » ), celle-là ne finit pas en délire bruitiste. Neil Cline se prépare pour le titre que tout le monde attend. Ce qui arrive est l’un des plus grands morceaux live de tous les temps. Impossible Germany va être absolument dantesque, étiré sur 10 minutes dont 8 pendant lesquelles Neil Cline va impressionner en soliste auquel Tweedy a laissé les clés. Inutile de préciser que le titre est acclamé, et qu’ensuite il faut arriver à s’en remettre.
Le choix est fait de calmer le jeu avec Meant to Be, le deuxième extrait de Cousin. Wilco continue à alterner moments calmes et passages bruitistes, et va le prouver sur Via Chicago. Ce titre a beaucoup évolué depuis son enregistrement sur Summerteeth. Depuis quelques années, le groupe va plus loin dans sa démarche. Il y a là aussi un passage traditionnel de country rock cool et de délire épileptique, mais c’est en même temps, comme dirait l’autre. Plusieurs fois dans le morceau, deux groupes cohabitent sur scène, et pendant que Tweedy chante sa mélodie tranquillement à la guitare acoustique, Kotche rentre en dissidence, et se lâche complétement pour couvrir la voix de son leader, accompagné par Cline et Sansone qui torturent leurs guitares. Avant, évidemment, que tout ce petit monde reprenne sa place comme si de rien n’était. Le concert est à ce moment rentré dans une autre dimension et ne va plus faiblir. Un Quiet Amplifier très électrique est suivi d’un Jesus, Etc prodigieux. Nous n’avons jamais vu un public parisien réagir avec autant de bonheur à un concert de Wilco. Les sourires sont sur toutes les lèvres. Nous n’avons pas encore mentionné le grand Pat Sansone, alternativement à la guitare et aux claviers, et dont la présence est indispensable au son du groupe.
Box Full of Letters aurait dû être un tube imparable, et c’est un titre que Big Star aurait adoré composer. Tiré du premier album, A.M, il est toujours suivi sur cette tournée par Annihilation, extrait du dernier EP du groupe. Cela montre l’évolution du groupe sur 30 ans sur un genre similaire, et prouve que le talent de compositeur de Tweedy est toujours au top. Le concert touche à sa fin, ce maudit couvre-feu va empêcher le groupe de jouer 2h30 comme sur les dates allemandes, et I’m the Man Who Loves You conclue 1h40 de bonheur musical absolu.

Malgré la fatigue, le rappel est à la fois intense et surprenant, avec des morceaux que nous n’aurions pas imaginés, et California Stars pour démarrer. Pas la peine de se lancer dans de grands discours politiques, une reprise de Woody Guthrie va faire le job. Walken termine en beauté la sélection de Sky Blue Sky, Falling Apart permet à Pat Sansone d’avoir son moment de gloire, et enfin I Got You (At the End of the Century) termine le set sur une touche rock qui déchaine la fosse.
Tout le monde est debout au balcon, la Cigale vibre comme jamais et nous sommes heureux comme nous ne l’avons pas été en concert depuis longtemps. A chacun sa subjectivité, mais sans aucun doute ce concert aura été le plus grand moment de l’année et la meilleure performance de Wilco à laquelle nous ayons assisté. Espérons que Jeff Tweedy aura noté le nouvel amour dont son groupe jouit dans l’Hexagone. La prochaine tournée ne devra pas comporter une date unique !
Wilco va enchainer en Espagne après quelques jours de repos mérités pour… 4 dates ! Veinards !
Wilco :
Texte : Laurent Fegly
Photos : Laurence Buisson (Wilco – photos horizontales), Gilles Barbeaux (Wilco – photos verticales) et Laurent Fegly (Deep Sea Diver)