Lyon, 1930 : le double meurtre d’Ecully défraie la chronique de l’époque. Voici l’histoire vraie des deux meurtriers dont l’un était curieusement tatoué : ses mémoires seront reliés « pleine peau » par le docteur Lacassagne, médecin des prisons… Entrez ! Entrez dans le cabinet des curiosités !

Le bordelais Lionel Destremau s’est d’abord fait une place dans le monde de l’édition et du livre avant de passer de l’autre côté du clavier.
Après quelques poèmes et Gueules d’ombre, Un crime dans la peau est son second roman, basé sur une histoire vraie : le double meurtre d’Ecully en 1930.
Louis Rambert et Gustave Mailly sont nés en 1903. Ce n’est pas la meilleure année pour venir au monde, il va geler à pierre fendre et leur enfance sera bientôt marquée par la Grande Guerre.
Ils seront élevés à la dure (et c’est rien de le dire) dans la campagne française, dans la région de Vichy et de Lyon.
« Leurs mondes sont proches mais cependant un peu différents. Gustave circule dans le milieu des chiffonniers, des prêteurs sur gage, des receleurs, et même de certains employés de banque, tandis que Rambert a ses attaches avec les maquereaux et les voleurs du milieu et passe la plupart de ses nuits avec des filles de rue. »
Pour le malheur et pour le pire, ils se rencontrent en 1929.
Nés chez des petites gens, ils n’étaient que deux petits voyous, deux petits malfrats, vivotant de petits cambriolages et de petits butins, « un manteau de fourrure, une veste de costume , deux boutons de manchette en nacre et une montre en argent ».
Le 22 octobre 1930, ils deviennent deux petits assassins avec le double meurtre d’Ecully (aujourd’hui la banlieue chic lyonnaise) où ils trucident sauvagement (à coups de marteau !) un bourgeois et sa vieille tante pour un butin à peine plus riche que d’habitude.
Le roman évoque Jean Lacassagne qui fut médecin à l’époque de la Première guerre mondiale. Il fut également médecin des prisons et s’intéressa notamment aux tatouages des détenus.
C’était le fils d’Alexandre Lacassagne, célèbre médecin lyonnais bien connu des gones lyonnais, l’un des pères de la police scientifique, de la criminologie, de l’anthropométrie, …
Pendant des années, père et fils étudièrent « l’âme humaine des brutes et des fauves en cage ».
Curiosité malsaine ou scientifique de la part de ces bons docteurs, ils se passionnèrent également pour les tatouages des criminels dans lesquels ils lisaient le moyen de « classifier un certain rang social, celui de la marginalité, de la criminalité, faisant de ces marques corporelles à la fois des repères d’identification et des marqueurs de bassesse et de violence ».
Les docteurs Lacassagne estimaient « qu’ils étaient le reflet des âmes tourmentées des meurtriers en puissance » et considéraient « les geôles comme une source inépuisable de recherche et d’observation pour qui veut comprendre la psychologie, la sociologie et le destin de cette frange de l’humanité qui s’adonne au crime ».
C’était avant la Guerre de 14-18, bien avant que le tatouage ne devienne « une pratique à la mode, une forme artistique reconnue, un art à part entière ».
En prison, Louis Rambert (c’est lui le tatoué) trouva en la personne de Jean Lacassagne une oreille complaisante et intéressée.
« Et à force d’échanges avec Lacassagne, il finit par accepter de rédiger l’histoire de sa vie, à sa manière bien sûr, et de la confier au médecin. […] Il accepte de rédiger son testament, le 12 juin, dans lequel il déclare qu’il léguera son corps à la médecine, et sa peau tatouée au docteur Lacassagne en particulier. »
Jean Lacassagne va faire rassembler les documents concernant Louis Rambert, y compris ses mémoires, et les faire relier avec la peau tatouée du bonhomme : « Il a un projet en tête depuis quelque temps déjà : réunir les différents documents qu’il a en sa possession dans un dossier consacré au crime d’Écully, et il souhaite que ce recueil soit agrémenté d’une reliure réalisée à partir de la peau de Rambert ».
En 2014, les confessions de Louis Rambert, reliées « pleine peau » si je peux dire, vont refaire surface à l’Hôtel Drouot lors de la vente aux enchères d’une collection privée. Mais la loi française interdit le commerce de restes humains et l’ouvrage est retiré des enchères.
Le temps est venu du buzz et des polémiques.
On apprécie le travail de fouille, de recherche et d’investigation mené par Lionel Destremau.
Pour faire revivre cette époque, il nous plonge au cœur des journaux de jadis, au fil des mémoires rédigés par les uns ou les autres, et réussit à tisser un roman au souffle puissant, porté par le funeste destin de ces deux affreux jojos.
Le ton de ce roman noir est presque journalistique, presque sans émotion, tant l’incroyable histoire se suffit à elle-même : les faits, rien que les faits, monsieur le juge.
Sinistre était l’époque, dure fut la vie des deux voyous, tragique sera leur destin, véridique leur histoire.
Incroyable est l’aventure de ces mémoires reliées en peau d’homme qui réapparaissent plus de cent ans après les faits.
L’auteur consacre une grande partie de son roman à retracer le parcours de Rambert et Mailly, s’appropriant les travaux de recherche de l’époque : comment devient-on un assassin ?
Mais avec de titre à double sens, on aurait voulu en savoir plus encore sur ce curieux docteur Lacassagne et sa passion des tatouages.
Bruno Ménétrier