« Les Terres indomptées », de Lauren Groff : Une fuite éperdue à la quête de soi-même

Dans Les Terres indomptées, Lauren Groff s’attache aux pas d’une jeune servante en fuite dans l’Amérique du début du XVIIe siècle. Récit d’aventures et d’apprentissage à l’écriture singulière, le roman est une course effrénée vers la liberté au sein d’une nature hostile, témoignant de la violence dont est imprégnée l’histoire des Etats-Unis.

Lauren Groff
© Patrice Normand

Après Matrix qui nous transportait au XIIe siècle en imaginant la vie de la poétesse Marie de France, Lauren Groff met à nouveau une femme au cœur d’une fiction historique.  The Vaster WildsLes Terres indomptées – situé en 1609, s’attache au sort d’une servante qui fuit Jamestown, la première cité fortifiée construite par les colons britanniques dans l’actuelle Virginie. Qui est-elle cette fuyarde que l’on découvre traversant la forêt par une nuit sans lune, coiffée d’une capuche et chaussée de bottes robustes ? Appelée au départ « la jeune fille », elle sera plus tard, au fil des souvenirs qui affluent, désignée par ses surnoms : « Lamentations », « Zed » ou « La Souillonne ». Récit d’une course effrénée vers la liberté à travers une nature hostile, Les Terres indomptées apparaît comme un récit d’aventures et une quête spirituelle en même temps qu’une réflexion sur les racines de la violence qui imprègne l’histoire des Etats-Unis.

les terres indompteesCette course effrénée est une fuite vers l’Ouest, « jusqu’aux vastes, jusqu’aux terribles terres sauvages ». Une fuite loin de la servitude, loin de la famine, loin de la peste, pour « se sauver », dans tous les sens du terme. Frêle et courageuse, minuscule au sein de la forêt impitoyable, affaiblie par le froid, la faim, la fièvre, la « jeune fille » tente de devenir une autre. Seule sur ces chemins mais observée par « les yeux de la forêt », elle se détachera peu à peu du monde des humains et, parmi les ours et les vautours, se fera de plus en plus animale. En communion avec une nature aussi belle que cruelle, elle en viendra à se libérer du poids de la religion – « le dieu des Anglais » – et à se tourner vers une autre vision du sacré. Cet apprentissage la révèle à elle-même en même temps qu’il lui révèle que la vraie barbarie n’est pas là où l’ on croit. Son passé, qui revient par bribes, en témoigne : orpheline, élevée dans une institution, elle a été placée dès ses quatre ans au service d’une famille anglaise où elle connaîtra sévices et viols, avant d’être emmenée de force dans le Nouveau Monde.

La grande force des Terres indomptées est de nous faire vivre la fuite de »la jeune fille » à ses côtés, de nous mettre dans son souffle par le rythme singulier qu’imprime Lauren Groff à son récit. Un texte qu’elle a conçu comme une musique, dit-elle, sur le modèle du iambe shakespearien avec son alternance de syllabes longues et brèves. Qu’elle a écrit dans une langue qui évoque celle que parlaient les colons britanniques de ce début du XVIIe siècle, avec ses formes vieillies, ses métaphores saisissantes qui lui donnent un tour exubérant et poétique. On ne peut que saluer une fois de plus le talent de Carine Chichereau dont la traduction parvient à restituer magnifiquement la singularité de l’écriture de l’auteur. Roman « survivaliste, féministe et anticolonialiste », Les Terres indomptées met ses qualités littéraires au service d’une réflexion ô combien intéressante, offrant, à travers le destin de son héroïne, un regard sans complaisance sur l’histoire des États-Unis, rappelant qu’elle s’est construite dans la violence, fondée sur la prédation des terres et des hommes.

Anne Randon

Les Terres indomptées
Roman américain de Lauren Groff
Traduit par Carine Chichereau
Éditions de l’Olivier
272 pages  – 23,50€
Date de parution : 3 janvier 2025

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